Petits carnets du Bosquet de l'Ombre
Où on a un aperçu de ce que griffone Laofa dans ses carnets
Note griffonnée d’une main mal assurée.
Je fais l’expérience du Kyo-ka. Très désagréable. Mal au crâne, comme si le soleil essayait de me tirer les cheveux. Les Trykers, étrangement, traduisent “gueule de bois” alors que kyo-ka se traduirait par “vide de l'alcool” et que de toute façon, les Zoraïs ont tous une gueule en bois sans que ça les gêne outre mesure…
Je me demande ce que j’ai fait hier soir. Non, ça, j’en ai une vague idée. Mais comment je suis rentrée, bonne question. Il n’y a pas de téléporteur près du promontoire des Kipees… L’alcool est un bon moyen de faire passer le temps, visiblement. A retenir.
Croisé à mon réveil un gars bizarre. Plutôt gentil, mais il m’a un peu foutu la trouille, je ne m’y attendais pas. Horriblement défiguré : un accident, une chasse qui a mal tourné ? Pas osé lui demander. Ça déforme pas mal les expressions de son masque, on le croirait parfois de bois mort. Puis il sort un petit sourire. D’après le peu qu’il a dit, il doit faire partie d’une tribu du coin. Ils gardent visiblement les visiteurs dans mon genre à l’œil. Bah… Je ne suis pas là pour détruire les sources et décimer les troupeaux. C’est ce que je lui ai dit ; il a paru intéressé par mes travaux. Première fois que je croise quelqu’un qui m’écoute aussi longtemps sans me couper… Un curieux, comme moi ?
Il s’appelle Fakuang.
J’espère qu’on se recroisera. J’ai oublié de lui poser un tas de questions.
Autre note un peu plus loin, après des détails sur la manière dont le vent fait bouger les feuilles ou sur le régime alimentaire des najaabs.
Forer, forer, forer… Oui, super, ça fait plein de sous… Mais quel ennui… Comment Verica fait pour tenir ?
Après ce que j’ai du raconter comme bêtises l’autre soir à Fairhaven, il vaut mieux que je me fasse un peu oublier. Je ne sais plus si j’en ai raconté tant que ça, d’accord, mais j’ai méchamment envie de recommencer l’expérience. Il est temps d’être sérieuse. Ce n’est pas comme ça que je vais progresser.
Je me demande ce que devient Cyvos… Il a du me trouver ridicule…
La page suivante montre deux masques Zoraï. Le premier est très sobre, sans corne ni tatouage, avec un grand sourire. Un Zoraï sympathique qui respire la joie de vivre. Malgré le soin apporté au dessin, il a été ensuite rayé nerveusement. Le second est celui d’un Zoraï dont deux cornes ont dû être coupées ou arrachées, ce qui rend le masque presque aussi sobre que le premier, mais dans un registre plus sombre. Pas de tatouage là non plus. Mais de grandes cicatrices le barrent. Ce Zoraï-là ne sourit pas vraiment. Il a un air un peu sardonique, en fait.
Laofa a ensuite mis quelques points d’interrogation, sans préciser les questions auxquelles elle pensait.
Durant quelques pages après ça, il y a des notes sur divers lieux d’Atys et les meilleurs guides pour les visiter, avec des lucio des lieux en marque-page.
Une des pages montre que Laofa cherche un titre
Guide des Sorties sur et Sous l’Écorce ?
Le petit Atysien voyageur ?
Le guide des Routes ?
Trucs à faire sur les Nouvelles Terres ?
Où se détendre après les combats ?
Rââââ… Je trouverai un titre quand j’aurai fini de l’écrire… un petit guide qui recense les trucs sympa à faire dans les différentes régions, pour oublier un peu les guerres et la dureté de la vie, ça semble d’utilité publique. Mais ça va me prendre une vie de tout réunir et rédiger.
On trouve ensuite des dessins de diverses bestioles. Najaab, Kipee, Yubos, ce qu’on trouve autour du promontoire des Kipees. Et une nouvelle grenouille, rageusement barrée, suivi des mots «sale bête»…
Puis une étude sur trois pages concernant les Psykoplas, des réflexions sur la manière dont les plantes intelligentes interagissent entre elles et se préviennent des agresseurs.
Visiblement, Laofa était en train d’apprendre la musique aux Psykoplas entre deux forages.
La note suivante est aussi mal assurée que la première plus haut.
Ils savent faire la fête ! Ça tape, leur alcool !
Noter vite fait avant d’oublier. Un cray perdu dans la jungle. Surnommé Tin-bok-haï par les indigènes. Faut raconter l’histoire aux autres, trop drôle…
J’ai eu un peu peur tout à l’heure à cause de leurs masques. Mais ils sont très gentils en fait. C’est parce que ce sont tous des guerriers que leur masque ramasse autant de coups ? Ça me rappelle un truc, mais quoi, ze ne sais plus. Pas ce que j’avale qui va aider ! Leur camp est derrière un troupeau de Najaabs, vaut mieux que je ne retourne pas toute seule au Promontoire pour dormir. Ou que je dorme ici. C’est pas loin, mais je ne suis pas en état de courir. Pas sûre que vomir sur un de ces carnivores suffise à le faire fuir…
Pourquoi je m’embête avec des homins qui savent même pas que j’existe… Fakuang, au moins, il m’écoute. Il s’en fout pas de ce que je dis. Et il a du très bon… chais-pas-quoi, mais c’est bon.
Noter les histoires avant d’être trop soûle. Ils ont de sacrées chasses… Pas peurs des Najaabs, eux…
La suggestion n’a pas du être suivie, puisque c’est la dernière note avant un moment. Au début de chaque page, Laofa marque la date du jour : après cet épisode, son carnet est délaissé durant quelques jours. Cependant, un examen plus attentif révèle que des pages ont été arrachées. La note suivante est celle-ci, écrite d’une main encore tremblante.
J’ai du rêver. J’avais juste trop bu. Ridicule. Il faut que j’arrête d’écouter les histoires de monstres. Des cauchemars dus à de l’alcool un peu frelaté. Pauvre Fakuang, il doit se dire que je suis dingue.
Yrkanis est une belle région. Parfait pour récupérer. Je n’ai croisé personne que je connaissais ici. Les Matis ne cherchent pas non plus à en savoir plus sur moi. La discrétion de ce peuple est un exemple. Et leur artisanat vaut sa réputation. Je vais appeler Verica, elle va adorer.