Dans le chant des grenouilles
Où les grenouilles assistent à un triste spectacle.
Assise au milieu des grenouilles, Laofa méditait. Ou plutôt, pour être exact, elle tentait de méditer. Elle n’avait jamais été douée pour l’exercice. À présent, quand elle fermait les yeux, les souvenirs des jours précédents lui revenaient. Elle sursautait, puis recommençait à tenter d’atteindre une certaine paix intérieure, se concentrant alors de nouveau sur sa respiration…
Un bruit ! Laofa se leva, dégaina ses armes. Les grenouilles interrompirent un instant leur concert, puis se remirent à croasser gaiement. La Zoraï soupira, se rassit, laissant ses armes à portée de main, et tenta de nouveau de faire le vide dans son esprit.
Cette fois, ce n’était pas son imagination. Alors qu’elle commençait enfin à entrer dans une transe profonde, le bruit de quelqu’un sortant de l’eau la fit bondir. Vrana s’arrêta en la voyant prête à lui foncer dessus. Laofa reconnut sa sokko et baissa ses armes.
“Kami’ata, la salua Vrana comme si de rien n’était. Moi qui venait méditer dans un lieu…
-Ata’kami, répondit Laofa. Je vais te laisser tranquille, alors.”
Elle avait espéré que Vrana vienne, oui. Ce n’était pas par hasard qu’elle avait choisi l’un des lieux que l’Éveillée lui avait montrés. Certes, le coin était beau, bien camouflé, bien gardé, et il y avait tout ce qu’il fallait à proximité pour survivre. Un persistant problème d’humidité, mais c’était secondaire. Mais pas aussi vite. Son masque était encore douloureux, avec des morceaux abîmés. C’était superficiel, mais un peu trop visible à son goût, et la dernière chose qu’elle souhaitait, c’était expliquer à Vrana d’où lui venait les coups. La réputation de Zoraïe alcoolique qui la suivait était bien suffisante, pas la peine de se voir attribuer l’étiquette bagarreuse en plus. Donc Laofa était mitigée sur la venue de son amie, craignant sa réaction. Et puis, à qui Vrana allait-elle dire qu’elle était là ? Il vaudrait mieux songer à changer de zone, après son départ.
“Népai, reprit Vrana. Mais puisque je suis là, peut-tu ôter ce casque qui cache ton masque ?
-Pourquoi est-ce que je l’enlèverais ? C’est une bonne idée, le masque. C’est toi qui me l’a donné, en plus.»
Une fois, Vrana avait raconté à Laofa comment elle s’était cachée derrière un casque durant de longs jours pour dissimuler le trouble de son âme.
“Parce qu'une Zoraï n’accueille pas une autre Zoraï en cachant son masque de parenté”, rétorqua Vrana.
Laofa lui répondit par un grommellement. Elle cherchait une bonne excuse, quand Vrana s’approcha et défit doucement les lanières qui retenaient le casque de Laofa. Celle-ci recula brutalement :
“NON ! Il paraît que notre masque, c’est notre âme. Je n'ai pas envie de montrer mon âme.”
Vrana porta la main à son masque, puis se détourna, cachant une expression indéchiffrable.
“Dans ce cas… au revoir.”
Laofa regarda Vrana partir, serrant les poings pour retenir ses larmes, mais résistant à l’envie de la rappeler. Elle ne pouvait pas… Elle aimait Vrana, comme si elle était de sa famille, mais elle ne pouvait pas la laisser voir ce qui était arrivé à son masque. Pas maintenant. Pas encore.
Elle vérifia que Vrana se sortait sans trop de mal des Gardiens de l’Antre de la Fureur, puis une fois sa Sokko partie, elle remballa son campement de fortune et repartit dans les collines pour trouver un endroit plus calme.