Un long chemin
— Que ferez-vous, quand Jazzy-kito sera redevenu lui-même ?
— Je lui demanderais de me pardonner.
— Vous allez lui parler de Mazé'yum ?
— Jia ? Né, certainement pas !
— Vous avez suffisamment confiance en ce Mazé'yum… et en son apprenti, pour que cette histoire ne ressorte jamais ?
— Je ne pense pas que Kenny soit au courant. Et Muai-Heo n’a aucun intérêt à en parler, né ?
— Ylang’Hao-miko, tout finit par se savoir. Et le jour où cette histoire-là sortira, que se passera-t-il ?
— Je n’en sais rien… Ça me terrifie d’y penser. Le pire c’est si… S’il y a des conséquences, là, rapidement.
— Si cela arrive, nous ne sommes pas démunies. Et je vous promets que nous pourrions régler ça sans que quiconque apprenne les détails.
— Je ne veux pas y penser pour le moment. N’est-ce pas vous qui me dites qu’il faut se concentrer sur ce qui existe, plutôt que ce qui pourrait être ?
— Ukio, vous avez raison. Mais j’aimerais éviter une nouvelle crise comme celle que vous venez de vivre. Ylang’Hao-miko, il va falloir que nous travaillions ensemble à régler les problèmes qui pèsent sur vos épaules, sans en rajouter plus. Donc, en premier lieu… Votre relation avec Jazzy-kito. À qui vous envisagez encore de cacher quelque chose d’important.
— Le drakan pourrait peut-être l’encaisser. Mais Jazzy… avec la façon dont il a réagi, là, je n’ose plus rien faire. Je veux juste être une bonne compagne pour lui, me concentrer sur notre vie à deux, la rendre aussi agréable que possible.
Yokao se rend compte d’à quel point elle se crispe. Elle bouge un peu, cherchant à changer de perspective, à laisser cet agacement de côté. Son rôle n’est pas de gronder sa patiente… mais, à l’instant présent, elle lui mettrait bien une paire de claques. Comment Ylang'hao peut-elle être aussi bornée ? Yokao prend le temps de respirer calmement, écoutant à moitié les fantasmes d’Ylang'hao sur la vie à deux, sur comment elle sera une bonne petite épouse parfaite. Elle aurait bien envie de mettre fin à la séance, là, maintenant, mais pas question de lâcher sa patiente pour le moment ; il faut impérativement que cette homine arrête de tout détruire sur son passage. Yokao finit par trouver comment canaliser son énervement d’une façon qu’elle espère utile.
— Donc, si j’entends bien ce que vous me dites, vous allez vous comporter avec Jazzy-kito comme vous le faisiez avec Fakuang, en vous montrant soumise et en répondant à ses moindres désirs lorsqu’il est présent, tout en lui cachant le maximum de choses vous concernant et en le trahissant.
Un grand blanc lui répond. Un très, très long blanc. Elle a peut-être frappé un peu trop fort. Est-ce qu’Ylang va se sauver, maintenant ? Plus que probable, à moins qu’une autre échappatoire plus agréable lui soit proposée. Yokao finit par reprendre :
— Vous n’avez pas besoin de répéter ce schéma. Votre envie de mener une vie paisible avec Jazzy-kito… ukio, c’est une belle envie. Mais il faut agir pour que ce soit réel, et non un mensonge. Je suis prête à voir avec vous « comment » et « quand » certaines choses peuvent être dites, voir même être présente pour aider Jazzy à entendre ce que vous devez lui dire. Mais je ne vous aiderais pas à vous détruire tous les deux.
À part elle-même, Yokao se demande si garder le secret de ce qu’Ylang'hao a réellement trafiqué avec le Cercle noir ne serait pas mieux. Elle même est à présent bien impliquée et risque de se prendre un retour de bâton… mais, né. Rien de bon ne se construit sur les mensonges, elle en est de plus en plus convaincue ; mieux vaut faire face aux conséquences, aussi désagréables soient-elles, que de laisser une situation s’envenimer et devenir de plus en plus catastrophique. C’est comme ça qu’on crée des Théocraties, sinon…
Sa patiente soupire :
— Il va être vraiment fâché.
— C’est possible. Cela vous effraie qu’il soit fâché ?
— Né… Mais j’aimerais juste qu’il comprenne pourquoi j’ai fait ça. Mais, il ne comprendra pas, il n’en écoutera même pas la moitié.
— Alors, nous travaillerons pour qu’il entende la moitié la plus pertinente. Et, Ylang’Hao-miko… Il est possible, lorsqu’il apprendra ce que vous avez fait, qu’il refuse de continuer sa relation avec vous. Bokuu de gens risquent de ne plus vouloir vous parler. Il va aussi falloir vous préparer à ça.
— Je ne veux pas que ça arrive… Je ne veux pas perdre Jazzy, comme j’ai perdu Nikuya, comme j’ai perdu mon fils.
— Ylang’Hao-miko, vous avez fait des choix. Au moment où vous les avez faits, vous n’aviez pas bokuu d’alternatives en vue ; ce n’était peut-être pas l’idéal, mais vous avez fait ce que vous avez pu. À présent, d’autres choix s’offrent à vous, et mon travail est de vous aider à trouver la voie qui apaisera le trouble dans la société. À trouver comment éviter le laï-le ban public, qui ici amènerait plus d’agitation que de calme. Vous devez cependant faire face aux conséquences de vos actes, y compris dans leur aspect le plus désagréable ; c’est la seule façon de retrouver le chemin de la Lumière. Il faut traverser la nuit pour arriver au matin, et il est plus facile de trouver son chemin à plusieurs. Peut-être que quand la Lumière arrivera, vous retrouverez ceux que vous aimez. Mais même si ce n’est pas le cas, tout le monde aura pu obtenir plus d’apaisement.
— L’Amour des Kamis emplira nos vies. Ochi kami no.
Peut-être, ou peut-être pas, mais Yokao ne va pas se lancer dans une dispute théologique ; tout ce qui importe, c’est que cet espoir de trouver la voie de l’Illumination a redonné du courage à sa patiente et offre une chance de régler le bordel monstrueux dans lequel elle s'est empêtrée, entraînant avec elle d'autres gens.
Un long, long chemin à parcourir…