Je suis passée cette nuit près de l’arbre qui accueillit notre amour.
Je n’ai pas pu résister. J’ai voulu revoir le lieu de nos débats.
J’ai posé une main sur l’écorce, comme pour convoquer l’esprit du passé.
Je me suis avancée dans cette caverne végétale, savourant l’odeur de l’humus. J’étais un peu perdue, comme cette fois-là où tu me fis découvrir la cathédrale naturelle. Les souvenirs me revenaient, hantant ma chair autant que mon âme.
Je me souvenais de la folle course qui nous avait amenés là, bien des cycles auparavant. Je t’interrogeais sans cesse sur les secrets que tu avais dû contempler dans ta longue vie ; toi, taciturne, tu me faisais tes réponses laconiques, m’emmenant voir des lieux mythiques et oubliés. Parfois, tu interrompais mon babillage d’un baiser. Je restais alors tremblante, à frissonner contre toi, ne comprenant pas que ma quête de savoir m’ait mené dans tes bras.
Inlassablement, je revenais à la charge, cherchant à te faire parler. Je voyais dans tes yeux briller cette lueur, qui pouvait si facilement passer de la colère au désir. Je jouais avec le feu qui couvait en toi avec un plaisir infini, savourant les sentiments que je faisais naitre en toi, craignant dans le même temps de te fâcher pour de bon.
Tu m’avais promis un secret, le secret de ton dieu, et je t’avais suivie, poussée par ma curiosité. Là, dans ce temple naturel, tu m’avais parlé du divin. Tes prières et celles de tes frères, morts au combat des années auparavant, étaient incrustées dans le bois. Le sacré nous entourait, un souffle chaud qui nous enivrait. D’un air de défi, tu m’avais déclaré que je ne saurais jamais te faire parler. Savais-tu alors que tu n’avais qu’à demander pour que moi, je te dise tout ?
J’avais pris mon temps pour te faire avouer, flirtant avec le sacrilège, mais aussi intimidée par cette présence qui nous possédait.
Dans ces moments de communion, tes traits burinés se plissaient dans un sourire trop rare, ton hiératisme tombant un instant tandis que tu t’abandonnais au bonheur.
J’aurais aimé que cet instant dure pour toujours.
Il aurait suffi d’un mot de ta part. J’aurais embrassé ta cause, comme j’avais baisé tes lèvres.
Puis la guerre nous a rappelés. Mon chemin n’était pas le tien et tout nous éloignait. Je craignais le moment où nous devrions nous affronter en public, pour sauver les apparences.
La nouvelle est tombée. J’ai su que nous ne nous reverrions plus. Je t’ai envoyé une lettre ; j’ai su qu’elle ne t’avait jamais trouvé. Je suis allée affronter mon destin. Je savais que de ton côté, tu affrontais le tien.
Cette nuit, j’ai laissé mes doigts glisser sur l’écorce de tes prières. Je contemplais le secret de ton dieu. Je ne l’avais pas trahi.
Avec un soupir, j’ai repris mon chemin. Je ne savais plus pourquoi mes larmes coulaient.