Faerie est un espace onirique à part entière, d’où des histoires naissent parfois, avec une certaine cohérence narrative d’une fois sur l’autre. Ce qui n’est jamais gagné avec des rêves qui passent une fois par mois, dans un univers qu’on n’a jamais vraiment construit. Voici le dernier rêve en date dans cet univers, tout frais du matin.
L’enfant avait passé la Porte, se glissant dans l’ouverture étroite, rampant dans le tunnel, jusqu’à déboucher à la lisière d’un bois. Immédiatement, elle avait su qu’elle avait trouvé : ce n’était pas le même monde. On n’entendait plus le bruit des voitures de la nationale qui aurait dû se trouver à quelques pas, et il y avait dans l’air une autre odeur… L’odeur de l’essence avait été remplacée par un autre parfum qu’elle n’arrivait pas à définir, légèrement musqué.
Elle s’avança dans l’herbe, souriante. Elle savait qu’il ne fallait pas qu’elle s’attarde ; on ne savait jamais combien de temps une Porte restait ouverte et surtout, elle ne serait immunisée contre les effets du monde qu’un court moment. Mais c’était bien assez pour en profiter.
Grisée par la joie de sa découverte, elle se mit à courir dans l’herbe, voulant en voir le maximum dans le peu de temps qu’elle avait.
Elle stoppa net, les yeux écarquillés, en voyant la créature qui se glissait dans le sous-bois. Sa couleur octarine claire, ses longs cous sinueux (ou était-ce des tentacules terminés par des sortes de griffes ? À cette distance, elle n’était pas sûre), mais surtout, sa masse imposante, presque une petite maison, la dissuadait de s’approcher. Elle partit à toute allure dans l’autre sens.
C’est à ce moment que sortirent du bois trois fauves terrifiants. Une immense corne à l’aspect métallique terminait leur museau et leurs gueules s’ouvraient sur des crocs aussi acérés que des scies. Elle ne prit pas plus le temps de les détailler ; visiblement, ils avaient faim et semblaient tout disposés à goûter une jeune humaine.
Courant aussi vite qu’elle pouvait, elle faillit rentrer dans la première créature qu’elle avait vue. Cette dernière allait vite, malgré sa taille. Poussant un glapissement, la jeune fille tenta de la contourner. Un pseudopode jaillit de la masse du “corps” et la souleva, tandis que les fauves sous elle faisaient claquer leurs mâchoires, furieux que leur proie leur échappe.
La montagne vivante balaya les fauves, écrasant leur échine de ses étranges membres. Les prédateurs tentèrent de mordre, mais leurs crocs affûtés ne semblaient pas arriver à percer la chair luisante. Le combat s’acheva rapidement.
La jeune fille se vit ramener à terre avec précaution. Un peu ébahie, elle regarda son sauveur et s’inclina avec reconnaissance. Elle sentit que la créature la contemplait avec attention. Elle ne voyait pas comment il pouvait la “regarder”, mais elle savait qu’il le faisait.
Au loin, la cloche d’un château qui émergeait de la brume sonna. La créature fut parcourue d’un long frémissement, et d’un tentacule amical, mais ferme, il la repoussa vers l’entrée du terrier par où elle était venue.
Cela faisait de toute façon assez d’émotions fortes et elle n’était pas sûre de vouloir voir le château et ses habitants. Il était temps de rentrer. Elle se glissa dans l’étroit passage, indifférente à la terre et aux lombrics. Elle eut l’impression que la créature tentait de la suivre. Mais elle était bien trop grosse pour le passage.
Elle émergea enfin de l’autre côté. La nationale vrombissait au-dessus d’elle. Ici, l’herbe était souillée de bouteilles abandonnées et d’emballages divers. Elle rentra chez elle, indifférente à ce monde où elle était née. Sa petite escapade l’avait revigorée.
Elle rentra dans son minuscule appartement, sachant qu’il lui faudrait attendre plusieurs jours de travail avant de retourner à la chasse aux Portes. Mais ça en valait la peine.
Durant la nuit, elle rêva que la créature, devenue un dragon, voulait rentrer dans son appartement. Elle en était un peu effrayée, car l’unique pièce ne pouvait vraiment pas l’accueillir. Peinée de chasser son sauveur, elle était bien obligée de lui refuser l’entrée.
Puis le jour vint, et d’autres jours, qui devinrent des semaines et des mois. Le souvenir du monde visité était un secret connu d’elle seule ; elle trouva la trace d’autres entrées, peut-être vers d’autres mondes ou le même, elle ne pouvait savoir. Ce qui l’intéressait était de trouver.
Et puis un jour, elle sentit de nouveau cette odeur de musc et d’octarine, l’odeur étrange qui l’avait accueilli dans l’Autre Monde. Mais elle rencontra cette odeur là où elle n’aurait pas dû se trouver. Dans le dernier endroit au monde où l'on pouvait imaginer croiser de la Magie et du Rêve.