Après coup, je me suis rendu compte que je connaissais la race de l’étrange créature, race antique aux pouvoirs étranges, qui ne comprend même pas vaguement le terme de “compassion” (alors, justice, amour, tout ça… mouarf) ; mais ça n’avait finalement aucune espèce d’importance pour le récit. Je ne suis pas sûre que la jeune fille ait eu une bonne idée de le ramener sur son monde, mais ça, seul l’avenir le dira !
Une chose qui m’a gêné énormément dans la rédaction de ces textes était qu’aucun protagoniste n’avait de nom. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, bien sûr (et certainement pas la dernière). Sur les textes courts, c’est déjà difficile, mais ici il commençait à y avoir beaucoup de mots et de protagonistes. Pourquoi ne pas avoir choisi de nom, simplement ? C’est un choix et pas du tout un manque d'inspiration ; on pourrait dire un exercice de style, mais ça va un peu plus loin.
Il y a effectivement un côté exercice de style : personnaliser le minimum pour laisser le lecteur s’emparer de l’histoire et lui donner ses propres couleurs. Dans certaines histoires, ça me parait important. Quand il s’agit d’aventure et d’amusement, je ne m’embête pas autant puisqu’il s’agit de dépeindre un tableau, une scène, comme si vous étiez au théâtre. Mais il y a des récits où il faut essayer de laisser le lecteur acteur, et non simple spectateur, de l’action qui se déroule. Tout ce qui “manque” est une invitation : laissez votre imaginaire compléter à votre façon. Je ne garantis pas que ce soit réussi… mais c’est ce que j’essaie de réaliser.
La seconde raison qui m’a poussé à ne nommer personne, ici, est qu’il s’agit d’un texte autour de Faerie et du rêve. Dans ce cadre, “les noms ont du pouvoir”. Aucune fée ne donnera son nom à un humain ; les gens se donnent des surnoms entre eux, mais personne n’aurait l’outrecuidance de nommer. Les sorciers humains et autres sorceleurs ne sont pas plus imprudents et protègent soigneusement leur identité : un nom, un cheveu, une rognure d’ongle, suffisent à ensorceler une personne.
C’est assez drôle, finalement, comme le lien entre la magie d’hier et la technologie d’aujourd’hui se fait, entre autres autour de la question de l’identité. Ce sera peut-être une autre histoire, un de ces jours.
Donc, certes, j’aurais pu vous donner des noms, ça n’aurait rien changé, dans le fond. Mais ça allait avec l’esprit du récit. Il ne faut pas contrarier les muses, même quand elles ont des exigences aussi baroques !
Faerie est une façon commode de désigner cet univers, ou plutôt ce multivers où des mondes entrent en friction, avec d’un côté des humains dans des mondes industrialisés, de l’autre “le peuple fée” dans des mondes de magie. Tous les récits de Faerie (dont certains sont écrits, mais pas tous, loin de là) tournent autour de cette cohabitation impossible, qui tourne souvent à l’affrontement. C’est juste une manière de prolonger les contes d’Europe du Nord, où déjà, quand le fantastique s’invitait dans notre monde, c’était pour faire tourner le lait, voler les vaches et la jeunesse, échanger des bébés et tenter les pèlerins. Le problème c’est que le terme de Faerie, et plus généralement tout ce qui est dit “fée” ou pire, “elfe”, a subi une sacrée déformation ces dernières années. Mettons les choses au clair : chez moi, ce sont juste des extraterrestres qui vivent dans la dimension d’à côté. Ils n’ont rien de gentil mignon tout plein ; ils ne sont pas non plus méchants tout moche : ce manichéisme primaire est bien trop chrétien pour moi, donc bien trop moderne. J’aurais peut-être l’occasion de vous faire découvrir “mon” peuple fée à l’occasion (je l’espère), mais ne vous attendez pas à la féerie made in Silmarillion ou Disney. Ni l’un, ni l’autre.