Il était une fois une petite reinette, toute verte, qui se croyait très maligne. Elle était sûre que sa mare était le monde entier. Elle en avait fait trois fois le tour et ne pensait pas pouvoir y découvrir de nouvelles choses.
Elle se sentait très sage de ce savoir, prête à affronter toute situation.
Et puis un jour, il se mit à pleuvoir. D'abord un peu, puis beaucoup, et enfin comme jamais auparavant ! L'eau de la mare déborda, s'écoula en torrent.
Dans ce déluge, la grenouille se demandait à qui adresser ses prières, et où étaient passés ses repères. Comme le courant était fort, et que, malgré sa suffisance, elle avait quand même un peu de jugeote, elle le laissa l'emporter, ne tentant pas de lutter, mais de l'accompagner.
Après un temps qui lui paru infini, le flot se ralentit puis le calme revint. La pluie avait cessé. Mais la mare où la grenouille avait vu le jour avait disparu.
Elle était à présent dans un étang, vaste, inexploré. Elle commença à nager. Il y avait dans ce nouveau monde de nombreuses merveilles mais aussi bien des dangers. Chaque jour, de nouvelles choses à apprendre. Mais la grenouille, dans son orgueil, disait “ho, oui, c'est comme dans ma mare, en plus grand !”
Elle rencontra enfin une autre grenouille. Elle n'avait encore jamais vu de grenouille comme elle, mais elle se contenta de l'étiqueter “grenouille comme les autres”. Qu'importait que la couleur soit différente ? Ou même… que celle-ci ait des ailes ?
C'était une grenouille.
Elle ne vit même pas les ailes ni la couleur.
Elle était enfermée dans son petit monde. La mare était encore dans sa tête.
L'autre grenouille… ha, ce devait être une grenouille très sage, car elle fut très patiente.
Puis un jour, elle donna un coup d'aile devant la petite reinette étonnée.
Cette dernière rentra chez elle très perturbée. Elle qui pensait avoir tout vu, tout fait ! Cela, elle ne l'avait jamais fait.
Elle contempla son reflet sur l'eau de l'étang, un peu triste : jamais elle ne pourrait voler comme ça. Elle se sentait soudain petite et très bête de n'avoir rien vu.
Le lendemain, elle retourna voir l'étrange grenouille, ne sachant comment parler de tout ça. Il lui fallu beaucoup de temps pour juste oser demander : “Mais alors, tu voles ?”
L'autre lui sourit gentiment.
Chaque jour, elle déployait un peu plus ses ailes. La reinette la regardait et sentait l'émerveillement naitre dans son coeur. Elle ne se sentait plus ridicule de ne pas avoir d'ailes. Elle voulait en avoir aussi. Elle voulait voler de concert avec son amie, savoir ce que cela faisait de planer au-dessus de l'étang.
Le monde était plus vaste que l'horizon de l'eau, qui sait ce qu'elle pourrait découvrir si elle savait voler ? Un jour, elle n'y tint plus… Elle vit son amie partir vers le soleil… et elle, coincée avec les crapauds… Le sourire de l'autre grenouille l'invitait à oser.
Elle sauta sur le dos de son amie et prit son envol avec elle.