Une vie classique dans une tribu classique.
Enfin, quelque chose comme ça.
Certes, le concept d'amusement pour les jeunes de la tribu consistait à courser les Zoraïs solitaires qui s'aventuraient de ce côté de la jungle. Le jeu prenait toute sa saveur quand ils arrivaient à rabattre les pourchassés sur les kinchers qui pullulaient dans la région. Certes, la cérémonie de passage à l'âge adulte consistait à verser pas mal de sève, la sienne, à s'attaquer à des bestioles supposées intuables (les kamis) et à survivre à un certain nombre de mutilations. Certes, l'idée d'une bonne journée pour les siens consistait à avoir traumatisé un maximum de monde. Et si on ne trouvait personne en dehors de la tribu, on pouvait toujours s'amuser entre soi.
Une vie saine dans un climat sain ! Les jours s'écoulaient presque paisiblement dans la tribu des Antekamis. Les siens prenait des paris stupides avec la mort, ils testaient la résistance homine à tout un tas de trucs intéressants, et tout le monde s'amusait. La Karavan les embauchaient parfois pour quelques missions, leur donnant la résurrection au passage. C'était pratique mais aucun Antekami ne louait le nom de Jena. Il était juste question d'accord utile. Le Cercle noir les fournissaient en drogues diverses, prix bas sur les préférées, parfois en cadeau quelques potions à tester… et suivant l'humeur des membres de la tribu, ils jouaient aux cobayes ou trouvaient ce qu'il leur fallait dans la jungle. Min Cho était assez proche, la région attirait des foreurs imprudents.
Fakuang avait passé son rite de nombreuses années auparavant, dévoué sans faille à la philosophie des siens. Chaque année, il tentait d'enlever un peu plus de son masque. C'était à chaque fois plus dur : il ne restait que l'essentiel. Pousser le fanatisme trop loin finissait par détruire la graine de vie et il aimait trop la vie pour s'arrêter maintenant. Une bonne compagnie, des bon moments, que demander de plus ? Juste un peu plus de Zoraïs pour augmenter la taille de la tribu, peut-être. Et d'autres un peu moins suspicieux, afin de se marrer. Comme la fois où ils avaient choppé ce garde qui s'était un peu trop éloigné. Ils l'avaient traîné jusqu'à la Souche Flétrie et l'avaient suspendu par les pieds au dessus d'une des plates-formes. Puis ils avaient rabattu un kincher sur la plate-forme en question et bouché l'entrée derrière lui. Ça avait été un bon moment. Mais quand les gardes étaient en patrouille, difficile d'en enlever un ou deux, ils se défendaient mieux.
Le Promontoire des Kipees restait la zone préférée de Fakuang. À deux pas du camp, il y avait de nombreuses sources autour qui, suivant les périodes, amenaient plus ou moins de monde. Dans le lot, il y avait toujours des innocents qui n'avaient pas entendu parler de leur tribu et qui venaient les voir pour tenter d'échanger leurs matières. Ils ressortaient rarement en un seul morceau.
Cette année là avait amené un petit groupe qui fleurait bon le réfugié ignare. Plus d'une fois les Antekamis les avaient observés, amusés, attendant le bon moment. Il y avait des Zoraïs dans le lot. Les Zoraïs avaient souvent droit à un traitement à part : avant de trop les martyriser, on vérifiait leurs allégeances. Parfois l'un d'eux avait cette petite étincelle de haine qui ne demandait qu'à grandir. Accueillir un nouveau venu était toujours agréable.
Puis les foreurs vinrent moins souvent tandis que le froid s'installait. L'hiver serait bientôt là. Mais l'une restait et se retrouvait de plus en plus souvent seule.
Fakuang l'épiait. Si elle n'était pas repartie avec les autres, c'est qu'elle passait plus de temps à rêvasser qu'à piocher. Son sac se remplissait bien moins vite. Elle ne faisait pas que regarder le ciel en chantonnant : parfois elle restait des heures à fixer des brindilles ou à faire sonner les psykoplas, ou bien elle suivait Tin-Bok-Hai dans ses déambulations. Et elle couvrait de notes un petit carnet. Fakuang était curieux de savoir ce qu'il y avait dedans. Et surtout ce qu'il y avait dans la tête de cette étrange Zoraïe. Elle ne semblait pas du genre recrutable, trop souriante pour ça, mais effrayable à moindre frais, sans doute. Quoi qu'il en soit elle était à présent des heures seules ici… ce qui était vraiment une mauvaise idée pour elle.