Il avait quadrillé la jungle. Il avait dormi des nuits sur le Promontoire, sûr de la voir revenir. Il avait payé des gens pour être prévenu si elle passait. Mais quand elle venait dans la jungle, elle ne sortait pas de Zora, où il ne prendrait pas le risque d'aller.
Il avait trouvé une Zoraïe en train de se balader dans la région du Havre de Pureté, dont le tatouage lui faisait penser à Laofa. Ce n'était pas elle. Elle n'avait que gémi et pleuré, elle s'était débattue mollement, avait prié les kamis de lui venir en aide. Ça, c'était le truc de trop. Après ce qu'il avait fait de celle-là, les kamis n'avaient sans doute rien trouvé à ramener.
-Néanyum Fakuang, se moqua un jour une des Antekamies.
Son masque blafard aux grandes tâches rouges, barré par des cicatrices bien trop esthétiques, sembla ce soir là encore plus odieux que d'habitude au guerrier. Il se jeta sur elle, la bourrant de coup comme un dément. Elle ne le laissa pas faire, elle au moins : elle le mordit, répondit avec autant de force, si bien qu'ils se retrouvèrent rapidement à rouler dans la sciure. Elle l'insultait avec férocité et il répondait avec autant de rage par des coups bien placé. Il en était à lui cogner le masque avec application contre une des barrières du camp quand deux autres tentèrent de lui faire lâcher prise. Il lâcha Dian-Kuang, qui n'était plus en état de dire grand chose à présent, et s'occupa de ces deux là qui osaient se mêler de ses affaires. Il vit du coin de l’œil la jeune Tohn Kua lui lancer un soin ; non pas parce qu'elle voulait le soutenir, mais parce qu'elle voyait enfin une occasion de voir à terre les frères Yuchun sur qui il s'était retourné.
L'atmosphère de cette fin de saison était électrique et bientôt tout le monde fut joyeusement en train de se battre, avec le goût du meurtre dans la bouche.
L'Écorce asséchée s'était gorgée du sang de la tribu. Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas amusés comme ça.
Ce soir-là Fakuang retrouva Dian-Kuang dans sa tente. Une étreinte brutale et violente à la façon antekamie. Ça défoulait. Mais le masque de cette garce n'avait aucune saveur.
Après ça la vie reprit son cours. L'Antekami avait gagné entre-temps le douteux privilège d'aller négocier les tarifs et la qualité des potions auprès du Cercle Noir. Il avait balancé un de leurs Trykers dans le bubon de goo au milieu de leur camp. Ils n'avaient pas trop apprécié. Le nabot n'avait rien eu, sa chute avait été amortie par la matière spongieuse et s'était relevé tout violacé. L'histoire avait fait rire tout le monde quand il l'avait racontée au retour. Ça et le fait que le Cercle l'avait forcé à avaler une potion qui durant quelque jours l'avait transformé en Zorai albinos : cheveux blonds et migraine carabinée. Ils avaient le sens de l'humour, eux aussi.
Ils avaient inventé un nouveau sport après ça : “lancer de Tryker”. Il fallait chopper quelques uns de ces morveux, puis on se retrouvait avec sa prise au bord de la goo, un peu en surplomb.
On prenait le Tryker par les pieds, on tournait sur soi-même pour donner le maximum d'élan à la prise, puis on lâchait la bestiole au dessus du champ de goo. Plus on l'envoyait loin, mieux c'était. Mais le vrai jeu était de voir à quel vitesse ils revenaient. S'ils mourraient à respirer les vapeurs avant d'avoir atteint le bord, ça faisait moins de points, puisqu'on ne pouvait pas rejouer. L'un d'eux se brisa le cou en atterrissant : tout le monde jugea la prestation décevante. Fakuang trouva un Tryker pas trop grand mais visiblement assez aérodynamique et d'une bonne résistance. Il réussit à lui faire faire une dizaine d'aller-retour.
Après ça la tribu des Trafiquants de l'Ombre leur tomba dessus et leurs proies leurs échappèrent.
Et puis un soir, Fakuang entendit qu'on hurlait son nom à l'entrée du camp…
Et si le suspense est trop grand, ce qui se passe ce soir-là se trouve raconté en partie ici. À vous de me dire : je vous en livre une version Fakuang, ou je me permets une petite ellipse pour aller à l'essentiel ?