L’heure et la région où deux chefs de guildes karavanières vont se rencontrer. C’est tout ce que les services d’espionnage des maraudeurs ont réussi à avoir. C’est déjà beaucoup. Maintenant il faut arriver à savoir ce qui va se dire. Fakuang est un peu surpris qu’on lui confie cette mission, appréciant aussi qu’on commence à lui faire confiance.
Il se demande où les Karavaniers vont bien pouvoir se réunir. Les alentours de Zora, c’est vague. Dans un premier temps, il table sur la zone des Cités de l’Intuition et surveille de loin le téléporteur Karavan. Mais l’heure tourne, rien ne bouge. Noakinn, qui était censé l’épauler, n’arrive pas non plus. Son intuition lui souffle qu’il se fourvoie.
Vu l’heure, plus le temps pour les détours. Le moyen le plus rapide de rejoindre chaque téléporteur Karavan passe par Zora.
Il déteste passer à Zora. Les zoraïs dévisagent son masque et il s’attend à les entendre appeler la garde. Mais comme d’habitude, rien. Les zoraïs sont de plus en plus mous et apathiques avec le temps, les manipulations des kamis les rendant plus bêtes que des bawabs. Fakuang finit par avoir un sourire amer. Il leur montrera la Vérité… Mais pas aujourd’hui ; aujourd’hui il faut courir pour trouver les avortons de la Karavan.
En arrivant dans le Havre de Pureté, son sixième sens lui souffle qu’il est sur la bonne voie. Il espère que les chefs seront en retard. La route est longue et il n’a pas encore la force de se débarrasser des prédateurs de la zone, ce qui l’oblige à ralentir, contourner, feinter. Il maudit Nevroyae tout bas : la matisse aurait dû disposer des agents partout, et au moins lui prêter l’assistance d’une brute pour se rapprocher de la zone où sont les deux chefs. S’ils sont là.
Fakuang trépigne en attendant qu’une bande de gibbaï se décide à libérer le chemin. « Je reviendrais tous vous massacrer un de ces jours, sales sous-homins… »
S’il passe par là, ils ne le verront sans doute pas…
Raté. Le vent tourne, les gibbaïs relèvent la tête, et eux ont visiblement la mémoire plus longue que les Zoraïs. Chacun se fige un instant. Fakuang tente le bluff, se redresse fièrement, sort son épée et menace les gibbaïs. Les gibbaïs hésitent ; les zoraïs au masque lacéré n’ont pas bonne réputation parmi eux, mais celui-là est seul et sent un peu l’anxiété…
Voyant que les gibbaïs prennent le parti de venir tester s’il est aussi fort qu’il le prétend, Fakuang se met à courir aussi vite que possible, espérant les semer dans cette jungle qu’il connaît par cœur.
Mais courir à fond de train, c’est voir au dernier moment les ennuis arriver. Fakuang réveille ainsi un couple de torbak et manque trébucher sur Gar-lo, le gros Zerx qui hante la zone. C’est suivi de tout un troupeau qu’il débouche à la ferme de la Montagne aux Cornes. Courant comme un dératé, il a tout juste le temps d’apercevoir une matisse qui semble attendre là.
Raté pour l’approche discrète.
Fakuang continue sa course, puis fait un large détour pour revenir vers les ruines de la ferme, réussissant cette fois à éviter les prédateurs, et observe de loin l’homine seule.
On dirait bien que c’est Droshalla, la chef des Gardiens du Savoir. Elle correspond à la description et semble attendre quelque chose, faisant les cent pas. De toute façon, que ferait-elle ici sinon ?
Fakuang observe la zone, bien embêté. Si les deux chefs se rencontrent au centre de la clairière, aucune chance qu’il arrive à les entendre et s’il se rapproche, il se fera voir, c’est évident. Pas assez de cachettes. Il se rapproche autant que possible, mais c’est encore trop loin. Il se fait aussi la réflexion qu’il aurait dû récupérer une tenue antekami. La tenue de la guilde des Maîtres Obscurs, pour la discrétion, c’est vraiment médiocre.
Nucleotom finit par arriver. Lui, il est sûr que c’est le bon. Un tryker avec les cheveux en pétard et surtout qui se promène tout le temps en caleçon rouge, ça ne peut être que le chef des Gardiens des Lacs.
De derrière son arbre, le zoraï confirme son impression première. Il est trop loin pour entendre quoi que ce soit. Si seulement Noakinn était venue ! Puis une idée lui vient. Même sans être là, elle va lui être utile.
Il prend quelques secondes pour modifier son masque. Une simple gymnastique qui efface son air mauvais et lui donnerait presque l’air affable. Les zoraïs dans l’illusion kami croient qu’il est impossible de faire mentir un masque et que ce dernier est toujours le reflet de l’âme. Mais Fakuang a appris à dompter son masque il y a bien longtemps. Il l’a dompté à coup de couteau, certes, mais c’est efficace.
Puis marchant d’un pas tranquille, l’air (presque) avenant, il se rapproche des deux chefs qui se taisent quand il arrive à portée de voix.
— Excusez-moi de vous importuner… L’un de vous aurait-il l’heure ?
Les deux karavaniers le regardent avec méfiance, lui demandent de s’identifier. Tout à son rôle d’idiot, Fakuang ignore superbement leur inquiétude et raconte son histoire, feignant l’embarras :
— J’attends quelqu’un qui commence à être en retard… C’est une petite karavan. Je me dis que je suis peut-être en avance…
— Et qui est-ce ? demande Nucleotom.
— Une jolie trykette. Hum…
— Certainement ! Veuillez nous excuser, mais nous avons à parler en tête à tête ! coupe Droshalla avec intransigeance.
— Elle ne devrait pas tarder, excusez-moi…
Fakuang s’éloigne d’une dizaine de mètres, regarde alentour, cherchant s’il aperçoit l’élue (fictive) de son cœur. Les deux karavaniers fixent le zoraï, se demandant sans doute qui est cet abruti.
— Je propose que nous nous éloignions un peu, Droshalla.
— Oui, allons plus loin…
Fakuang voit du coin de l’œil les chefs de guilde s’éloigner… se rapprochant de ce fait d’une grosse termitière qu’il avait repéré auparavant. Ce n’est pas pour rien qu’il a dirigé ses pas de ce côté, il espérait bien qu’ils réagissent en bodoc et aillent de l’autre. Ou qu’ils croient son histoire et papotent à dix mètres de lui, ce qui aurait été assez incroyable. Restant dans son rôle d’homin transi cherchant l’homine de sa vie, il s’éloigne. Dès qu’il est hors de vue, il quitte son pas tranquille, et fait le tour au pas de course, restant hors de vue.
Puis il se glisse vers la termitière, sans un bruit, mettant à profit le relief du terrain. Les termites ne tardent pas à l’attaquer violemment, mais il entend ce que les karavaniers racontent… donc tout va bien !
— … Et le souffle de renouveau qui souffle au sein de notre faction, est en train de dire Droshalla. Et l’entraide qui est née dans ce souffle. Je vous propose d’organiser un convoi de mektoubs dans le but d’échanger des matières issues des avant-postes. Qu’en dites-vous ?
— Pourquoi pas, cela permettrait de renforcer encore plus l’entraide entre nos deux guildes.
— Effectivement, et chacun y trouvera son compte.
— En effet. Que voudriez-vous que nous échangions ?
— Comme il s’agit d’un premier échange, je propose une matière tekkorn de qualité 250 contre une matière védice de qualité 250.
— D’accord, ça ne pose pas de problème à ma guilde.
— Par contre, pour le lieu de l’échange, je propose que nous nous retrouvions à mi-chemin de la Fédération et du Royaume.
— J’allais justement venir au lieu d’échange. Ce serait en effet plus pratique pour vous, comme pour nous.
— Je préfèrerais tout de même que ce soit sur vos terres, car la Masure est un vrai labyrinthe…
— Oui, nous risquerions de nous perdre, acquiesce Nucleotom dans un sourire. Je vous propose donc de se retrouver sur l’avant-poste de la Forteresse du Tourbillon. C’est un lieu sûr !
— Effectivement, nous devrions y être en sécurité. Pour la date, que diriez-vous Dua, Frutor 14, 4e CA 2561 à 17 h ?
— Cela convient aux Gardiens, répond Nucleotom. Nous serons au rendez-vous.
— Parfait, nous allons pouvoir commencer un échange qui peut déboucher sur de plus longs échanges, conclut la matisse.
Fakuang a ce pour quoi il est venu et fait son sourire tordu habituel. Plus la peine de prendre des risques. Il brise un pacte et rejoint ses camarades maraudeurs.