Finalement, Fakuang se fait à la vie des maraudeurs. Il les trouve un peu trop tendres, surtout ceux du clan qu’il a rejoint : sa cheffe refuse d’entendre parler de mauvais traitements sur les homins ! Comme elle est plus forte que lui, il obéit… pour le moment. Du reste, personne ne s’offusque de sa faiblesse, chacun l’aide à l’occasion à s’entraîner au combat. Personne, non plus, ne lui pose de questions sur son masque. Il est antekami, et alors ? Tant qu’il les aide à combattre Nations et Puissances, cela leur va. Cela lui va aussi.
De bons guerriers, de bons artisans… Pour tout dire, la vie dans le camp des maraudeurs est bien plus confortable que celle dans le camp antekami. Pourtant son ancienne tribu lui manque. Ici, on peut se bagarrer et c’est valorisé, certes, mais il s’agit de prouver sa force, pas de souffrir et faire souffrir.
C’est gentil. Moins niais que la vie dans les nations, mais quand même. Il y a un autre clan qui semble plus convenir aux instincts de Fakuang : la Sève Noire. Ceux-là prennent une drogue qui rappelle certaines choses à l’Antekami. Il parierait sur une version améliorée de ce que le Cercle Noir leur passait ; cette drogue qui avait rendu Laofa folle et avait révélé son ardeur. Il y goûterait bien…
Laofa… Il y pense parfois, vaguement. À quoi bon ? Il ne voit pas l’intérêt de la faire devenir maraudeuse. Il voulait la voir mutiler son masque… Tant que sa tribu ne lui aura pas pardonné, ça n’aura aucun intérêt. Il a essayé quelques fois de retourner chez les Antekamis, mais la patrouille avait pour consigne de le tirer à vue, avant qu’il puisse dire quoi que ce soit.
Ils finiront par se lasser.
En attendant, Fakuang approche ces maraudeurs de la Sève Noire. Ils sont menés par un zoraï complètement fou, qu’il trouve presque sympathique. Et donc, pour les rejoindre…
Mais la Sève Noire lui rit au nez : « Quand tu seras puissant, tu pourras nous rejoindre ».
Jamais Fakuang ne s’est senti aussi humilié que ce soir-là, sous les quolibets de ceux qu’il estimait potentiellement intéressants. Il déteste son état de faiblesse, il déteste ce camp, il déteste ces homins qui se bercent d’illusions et croient servir une grande cause, alors qu’ils sont aussi drogués que lui et pas meilleurs. En rien.
Finalement, les Maîtres Obscurs sont peut-être gentillets, mais au moins ils ne le rejettent pas. Ce sont les seuls qui lui font une place, malgré ses mauvaises blagues et son envie de faire souffrir tout ce qui bouge. Ce qui fonde la loyauté de Fakuang envers son Clan, ce n’est pas l’amour qu’il leur porte, mais la haine qu’il porte à tous les autres…
Les semaines, puis les mois passent. Fakuang redevient un guerrier acceptable. Il ne sera jamais aussi fort qu’il l’a été, mais il peut enfin se battre.
Alors, un jour, il retourne au Bosquet de l’Ombre. Encore une fois. Mais il n’approche pas de son ancienne tribu. Il reste à distance : ils peuvent le voir, mais leurs sorts ne peuvent pas encore le toucher. Il agace alors un najaab, puis se met à le combattre, tout seul.
Puis un autre, et encore un autre. Il fait quelques pauses entre deux bestioles : le but n’est pas de mourir, mais de montrer qu’il est redevenu assez fort.
Finalement, Pei-Jeng Pingi sort du camp, entourée par la patrouille. Fakuang retient toutes les moqueries qu’il aimerait lui dire.
La zoraïe au masque mutilé lui lance à bonne distance :
— Tu resteras en dehors du camp. Tu exécuteras les missions qu’on te donnera. À la moindre bêtise, nous te tuerons. Nous demanderons au Cercle Noir de trouver un meilleur poison, tu n’auras pas une mort de guerrier.
Il ne la pensait pas aussi fâchée… Tout ça pour quelques caisses de drogues… Alors il acquiesce, puis demande sans faire le malin :
— Est-ce que je peux de nouveau me dire de la tribu, ou est-ce que je dois rester avec les maraudeurs ?
— Pour le moment, reste avec eux. Au moins, leur téléporteur n’est pas loin. Et non, tu n’as pas encore regagné le droit de te dire Antekami.
Comme s’il attendait leur permission pour ça… Mais il prend soudain conscience qu’il ferait mieux de le prendre au sérieux et de se plier à ces règles pour le moment.
Dian-Kuang sort des rangs et lui lance un sac :
— Reprends tes kuks. On n’a pas tout balancé dans la goo ; mais ça encombre.
Il attrape le sac en faisant un signe de tête à la zoraïe. Elle a toujours eu un faible pour lui…
C’est ainsi que pendant quelques mois, Fakuang se met à fournir en douce à son ancienne tribu diverses fournitures presque aussi utiles que les drogues : nourriture, alcool, vêtements… L’accès aux ressources maraudeuses et aux contrebandiers qui commercent avec ces derniers rend tout cela plus simple.