Laofa prit la nuit pour décuver. Le lendemain, elle se rendit aux bains, encore un peu à l’ouest mais déjà plus en forme. Elle avait surtout mal au crâne et honte de son comportement de la veille. Pour le reste… Les bulles et la chaleur allaient aider à évacuer les tensions. Le bandage sur son bras était bien serré pour que sa blessure ne prenne pas l’eau.
Elle marina quelques instants seule, profitant de la tranquillité du moment pour essayer de prendre un peu de recul.
Puis un homin arriva, qu’elle n’avait encore jamais vu.
“Tu es Laofa ? demanda-t-il. Je suis un ami de Glorf. On m'a parlé d'une Zoraïe malheureuse.”
Elle retint un gémissement. Bon, des Zoraïs, il n’y en avait pas tant que ça à Pyr et elle était assez identifiable. Mais là, elle voulait juste la paix… Du temps pour remettre ses pensées dans le bon ordre.
“Malheureuse, moi ? Mais non.”
Elle se demanda comment compenser le langage de son masque sur lequel elle n’avait aucun contrôle.
“C’est juste un effet de la saison. L’automne qui arrive, tout ça.”
Jaggernot s’assit en face d’elle, pas dupe pour un dapper.
Puis il entreprit d’essayer de faire parler Laofa.
Il s’y prenait plutôt bien, elle devait le reconnaître. Kaewa et Glorf lui avaient sans doute dit ce qu’ils savaient, vu l’orientation des questions ; mais ils n’avaient qu’un petit bout de l’ensemble. Laofa ne savait pas si elle aurait réussi à parler de Fakuang à Kaewa ou Verica, mais à un inconnu, c’était hors de question. Le Fyros croyait que Cyvos était responsable de son vague à l’âme, tandis qu’elle se tourmentait surtout à cause d’un autre homin. Cyvos était Cyvos ; dans la lumière du matin, elle ne comprenait même plus ce qui lui avait pris. Il n’avait jamais eu le désir de nuire, lui. Elle l’aimait bien… Mais elle se rendait compte que cela lui suffisait qu’il soit son ami.
Quand au coup du “vas-y, parle, je suis toute ouïe”, on lui avait déjà fait une fois, elle n’était pas prête de se faire avoir de nouveau.
Elle se rendait compte qu’elle était sur ses gardes. Cependant si c’était vraiment un ami de ses amis, il n’y avait sans doute rien à craindre. La confiance qu’elle avait eu en l’hominité avait volé en éclats. Il avait suffi de si peu… juste quelques instants.
Pourtant, elle voyait bien que Jaggernot voulait vraiment l’aider. Elle l’observait, opposant des questions à ses questions ou donnant au mieux des réponses d’Indécis (“peut-être, ou pas”). Elle se rendait compte aussi que son interlocuteur avait sa propre ombre qui lui pesait… Et de fil en aiguille, tandis qu’elle évitait toujours d’aborder la blessure dans son cœur, menant Jaggernot sur son propre terrain, lui retournant ses questions, elle sentit sa curiosité s’éveiller. C’était un petit papillon sur son âme qui lui faisait le plus grand bien. La curiosité était son plus grand défaut et restait aussi son plus grand plaisir. Elle lui faisait oublier ses peurs et ses douleurs. La curiosité rendait la vie plus colorée, la recherche des mystères cachés dans chaque creux de l’existence redonnait le goût de respirer et de sourire.
Mais Jaggernot n’avait pas plus envie de partager ses souffrances que Laofa. A force de se titiller mutuellement, cherchant à en savoir plus sur les blessures de l’autre, ils finirent par s’énerver mutuellement. Jusqu’à ce que Laofa décide que ça suffisait comme ça. Elle n’allait pas laisser un arrogant Fyros lui expliquer à quoi devrait ressembler sa vie et à quel point ses choix étaient mauvais. Surtout sur les quelques points où elle était sûre d’avoir trouvé sa voie. Elle se leva, agacée. Qui était-il pour lui dire qu'elle ne prenait pas partie, alors qu'elle menait justement son combat en ne rentrant pas dans le jeu des fanatiques ?
“Je ne vais pas t’empêcher de profiter des bains plus longtemps. Soigne ta graine de vie, Jaggernot. Il n’y a pas que les petites Zoraïes qui connaissent le sens de la souffrance…Bonne soirée.
-Bonne route Laofa. Prends soin de toi.”
En sortant, elle maudit Glorf et ses rencontres foireuses. Et pourtant… Bien malgré elle, le Fyros qu’elle venait de rencontrer l’intriguait. Il était trop curieux, il avait des idées très arrêtées sur la manière dont les choses tournaient, il s’occupait un peu trop des problèmes des autres et pas assez des siens, mais… il l’intriguait. Elle se dit qu’elle allait mener sa petite enquête.