La soirée avait été étrange. Laofa se perdait dans ses souvenirs. Le conte raconté au Bois d'Almati, devant tous ses homins, avait été un bon moment, la déception de ne pas y voir un certain Légionnaire compensée par la joie de gagner un prix pour sa petite histoire.
Jusqu’à rejoindre Jaggernot à Pyr, tout allait plutôt bien. Certes, elle était un peu triste qu’il ne soit pas venu, mais elle s’y était attendue. Ce n’était même pas vraiment une surprise.
Puis Kaewa était arrivée, avec une histoire étrange. Elle disait qu'elle était tombée enceinte, qu'elle allait leur confier le bébé et fuir à l'autre bout de l'Écorce… Avec le recul, elle se disait qu’elle n’aurait pas du marcher aussi vite dans cette blague. Mais elle reprenait confiance dans les homins qui l’entouraient et elle avait tout gobé, s’inquiétant pour son amie. Pas forcément une raison de boire, cependant… Mais dans un bar, il y a de l’alcool et c’était tellement facile. Rien de grave, pourtant, jusque là.
Jaggernot l’avait accompagnée aux bains ensuite. Elle aurait peut-être dû profiter de l’occasion pour se rapprocher de lui ? Elle n’avait pas la tête à ça, elle s’inquiétait de l’évolution de leur relation… Accepter son amour, c’était accepter, un jour ou l’autre, qu’il la touche. Et alors prendre le risque qu’il se fasse contaminer. Elle ne pouvait pas porter une telle responsabilité. Peut-être que ce qu’elle avait était la maladie dont Fey-lin parlait, et dans ce cas, le risque de contagion était quasi nul. Mais on ne pouvait pas prendre de risques pour le moment.
Du reste, Cyvos était arrivé rapidement. Laofa avait alors commencé à perdre vraiment pied. Il semblait bien que les deux homins se sentaient en compétition. Mais pourquoi ? Pour elle ? A quoi rimait cette débauche de masculinité ? Elle se rendait compte qu’elle était seule, aux bains, avec les deux homins qui avaient compté dans sa vie. Et il en restait un, bien sûr… Qu’elle espérait ne jamais revoir.
Elle sentait son bras la brûler, comme attisé par les émotions contradictoires qui la traversait. Elle savait, pourtant, qu’elle devait éviter les émotions fortes pour contrôler ce démon qui la menaçait !
Là-dessus, Kaewa et Glorf avaient fait une entrée en fracas, criant “surprise !!!”. Non, Kaewa n’était pas enceinte, elle ne quittait pas la guilde, tout allait bien. Juste pour faire râler Jaggernot. Mais elle, Laofa, elle y avait cru aussi. Elle essayait difficilement de faire le point, luttant dans les brumes de l’alcool pour retrouver ses capacités d’analyses.
Puis Vrana était arrivée. Et Kaewa avait recommencé à l’embêter. Et Vrana l’avait embrassée. Là, encore une fois, Laofa était persuadée de manquer un morceau important de l’histoire. Elle avait recommencé à boire, résistant de toute ses forces contre la démangeaison à la limite du supportable qui lui courait sur la peau.
Et puis… et puis Jaggernot s’était mis à entreprendre sérieusement Hilarius. Laofa était vaguement consciente qu’elle aurait du dire quelque chose, qu’il était encore en train de s’égarer sous l’effet de l’alcool.
Mais une petite voix au fond d’elle-même lui disait :
“Laisse, et vois… Ses beaux mots, vides de sens. Tu le savais, non ? Que ce n’était que du vent, le vent du désert…”
Elle avait tenté de juguler la colère qui montait en elle dans les combats de crabes de Kaewa. Mais chaque instant devenait plus douloureux. Sa vision se colorait de pourpre. Tout lui devenait insupportable : leurs propos graveleux, leurs rires, les tensions sous-jacentes… Elle avait envie de hurler. De frapper. De tuer… Et les gloussements d’Hilarius n’aidaient pas.
Alors, avant de perdre tout contrôle sur elle-même, elle était partie. Que ses amis en pensent ce qu’ils veulent. La rage dans son cœur était si grande et si terrible qu’elle n’arrivait plus à la dominer. Elle ne voulait pas blesser d'innocents. Elle tenta de partir la tête haute, cachant ses larmes comme sa colère.