Soirée anniversaire, deuxième partie dans l'Ombre

Où l'on voit que la décision de ne pas blesser d'innocents mais de se défouler quand même n'est pas des plus pertinentes.

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“Tout est de la faute de cette potion… Sans ça, je n’aurais pas à me retenir. J’aurais été triste et en colère de voir Jaggernot faire ça, mais pas à vouloir le tuer… Je n’aurais jamais éprouvé d’intérêt pour Jaggernot si je n’étais pas passée dans ces ténèbres, d’ailleurs.”

Le sourire sardonique de l’Antekami hantait son esprit. Sa rage flambait, hors de tout contrôle. La toute petite part d’elle-même qui estimait avoir encore un peu de raison comprit qu’elle risquait de s’en prendre au premier venu. Alors, autant qu’il le mérite. Elle mit son armure lourde, cassa la perle d’un pacte pour Zora, ne s’arrêta même pas pour saluer les gens, posant juste ses affaires avec son mektoub. Du reste, sous son casque… Personne ne l’avait vue comme ça et qui aurait pu la reconnaître ?

Elle alla jusqu’à Min cho. La douceur de la nuit ne suffisait pas à faire baisser sa colère. Il fallait que quelqu’un paie.

Pourtant à Min Cho, elle s’arrêta un instant. Elle était sûre d’aller à sa mort. Il fallait avant ça qu’elle règle un dernier détail. Elle écrivit une lettre, puis la remit au palefrenier de Min Cho, avec ordre de ne l’envoyer que le lendemain soir.

«Jaggernot,

Tu accuseras sans doute encore l’alcool de t’avoir poussé à faire n’importe quoi ce soir, ou je ne sais quelle excuse foireuse concernant ton manque d’éducation et la supériorité des Zoraïs… Oublie-les. Assume et vis avec ce que tu es, il n’y a aucune honte à avoir. Je ne pourrai jamais te donner autant de plaisir et d’amusement que les homines à soldat de Pyr. Je ne saurai jamais non plus être une amie fidèle ; te voir roucouler avec Hilarius me donnait trop d’envie de meurtre. J’ai cru, un moment, que tu serais celui à qui je pourrais tout dire, que peut-être, nous pourrions nous entraider… J’ai rêvé du moment où je pourrais te dire ce que j’avais sur le cœur. Je n’en ai pas eu le temps, et c’est aussi bien. Je ne t’aurais apporté que de la souffrance, et j’aurais continué sans cesse de souffrir de tes comportements que je ne comprends pas. Tu m’auras fait croire, un instant, que j’avais encore une chance… C’était un bonheur que je ne regrette pas d’avoir vécu et je pleurerai sa perte. Il est temps à présent d’en finir avec ces enfantillages. J’ai reculé l’échéance autant que possible, mais il faut bien que je commence à affronter l’Ombre sur mon chemin. D’une façon ou d’une autre, la Laofa que tu as fréquentée doit mourir cette nuit. Oublie-la. L’Écorce ne manque pas d’homines charmantes qui rêvent de consoler des beaux légionnaires.

C’est une nuit magnifique pour un conte d’horreur. Là-bas sur la colline, les Psykoplas doivent grelotter dans le vent de tempête qui se lève, égrenant leur musique d’os et de mort aux Kipees plus bas. L’orage arrive. Je suivrai son sillage, ma peur enfin effacée par la certitude que rien ni personne ne m’attend ailleurs.

Combats dans la lumière de ton désert et vis chaque jour comme si c’était le dernier ; je mènerai mon combat dans les ténèbres et profiterai de chaque inspiration que je pourrai prendre. Oublie le passé, comme j’oublie l’avenir. Que nos esprits se concentrent sur le fil de nos lames, plutôt que de s’égarer dans des mots vides de sens. Dans une autre vie, peut-être, tout aurait pu être différent pour nous deux… Peut-être, peut-être pas. Dans celle-ci, le «nous» n’a aucun sens.

Ne cherche pas à me retrouver. J'ai demandé au palefrenier de Min Cho de t'envoyer cette lettre dans plus d'un jour. Je serai alors trop loin pour que tu me rattrapes encore.»

Puis elle s’avança, droite, concentrée sur son objectif, vers la sortie de Min Cho. Effectivement, la nuit se prêtait à la tragédie de l’histoire. Le tonnerre grondait depuis un bout de temps déjà ; tandis que Laofa contournait le promontoire, une pluie cinglante se mit à tomber. Elle approcha sans se cacher du camp de la tribu des Antekamis, les éclairs faisant miroiter les lames dans ses mains.

“Je cherche Fakuang ! hurla-t-elle pour couvrir le bruit de la tempête quand elle arriva en vue des sentinelles. Dites-lui que Laofa vient rembourser sa dette !”

Les veilleurs se contentèrent de la fixer, leurs armes prêtes à entrer en action, silencieux et hiératiques avec leurs masques morts, la tribu derrière eux en alerte. Puis Fakuang s’avança vers elle, s’arrêtant à quelques pas de ses lames.

“Tiens, la petite Laofa… Ça faisait longtemps. Un cycle sans avoir de tes nouvelles.
-Fakuang, je viens te payer pour m’avoir trompée, humiliée et empoisonnée ! Bats-toi, s’il reste de l’homin en toi !”

Le masque de l’Antékami se fendit d’un sourire horrible. Il sortit son épée à deux mains, tenant le gigantesque battoir comme si c’était une plume.
“Voyons si tu es digne de proférer de telles paroles…”

Elle se jeta sur lui, faisant tournoyer ses épées, laissant enfin libre cours à la rage qui l’envahissait depuis si longtemps. Elle mit dans son attaque toute sa force et sa férocité. Il se contenta d’un pas de côté pour éviter son coup, puis d’un geste nonchalant abattit son épée sur la jambe de Laofa. Elle s’écroula en hurlant. L'Antekami se moqua :
“C’est tout ? Tu es toujours un yubo, petite poko ? Incapable de toucher un guerrier ?”

Laofa rassembla sa rage pour oublier sa blessure. Elle ne pouvait plus s’appuyer sur cette jambe et sentait sa sève s’écouler, mais elle ne s’arrêterait pas maintenant. Elle se rua vers Fakuang, tentant de le transpercer de sa dague. La lame de son ennemi l’arrêta en pleine élan, la transperçant de part en part. Laofa en lâcha ses armes, tétanisée par le choc. D’une secousse, le Zoraï retira son épée. Hébétée, l’homine regardait le sang tacher ses mains qui s’étaient portées à son ventre, comme pour bloquer la terrible plaie. Elle sentit sa vision se brouiller, bascula vers l’avant, aux pieds de l’Antekami qui émit un grognement dépité.

“C’est tout ce que tu sais faire ? En un cycle, tu n’as même pas appris à tenir une lame fermement ? Tu me déçois. Les gens comme toi ne servent à rien.”

Elle sentait sa vie diminuer peu à peu, craignant que les Kamis ne tardent à appeler sa graine de vie. Elle contemplait les griffes de son armure sans les voir. Elle se sentait pitoyable de n’avoir même pas réussi à l’approcher. Mais son sentiment d’infériorité redonna encore plus de force à sa colère. Il se croyait malin, à la narguer, mais il était enfin à portée… Rassemblant le peu d’énergie qu’il lui restait, elle lança ses griffes et lacéra le mollet de son adversaire. Le hoquet de surprise de Fakuang lui mit du baume au cœur, la poussant à se redresser… juste à temps pour prendre un grand coup sur le masque. Elle repartit en arrière, s’affalant dans la boue. La douleur était plus terrible que tout ce qu’elle avait pu imaginer. Mais cela ne la calmait pas, bien au contraire : sa rage augmentait encore, son désir de blesser, de faire mal. Sa main attrapa l’une de ses lames qui était tombée là, et elle la projeta vers l’Antekami. Il l’a détourna d’un rire démoniaque.

Ses blessures commençaient à avoir raison d’elle, malgré son envie de tuer. Elle retomba encore une fois, sans même avoir reçu de nouveau coup. Là, le masque dans la boue, contemplant sa vie s’écouler, elle s’apprêta à se faire rappeler par les kamis.

Un sort de soin l’atteignit alors. La vigueur revint dans ses membres, son regard s’éclaircit, ses blessures se refermèrent. Elle avait envie de hurler contre la mort qu’on lui volait. Elle attrapa sa dague, bondit sur Fakuang, abandonnant toute technique pour se laisser aller à toute la sauvagerie qui l’envahissait.

Comme la première fois, son adversaire ne tarda pas à la mettre à terre. Il avait abandonné son épée, déclarant que Laofa ne valait même pas l’usure de la lame, et la rouait de coups avec méthode. De nouveau Laofa se retrouva incapable de bouger, prête à mourir. Encore une fois, un des Antékamis qui avait rejoint le cercle des participants qui les entourait la soigna à la dernière seconde. Le même manège recommença encore trois fois de suite. A chaque fois, à peine Laofa avait-elle récupéré qu’elle se lançait sur son adversaire. Elle parvenait parfois à le toucher, rarement et sans jamais arriver à mettre sa vie en danger ; le combat était tellement inégal que cela en devenait ridicule. Laofa avait l’impression que chaque os de son corps était brisé, chaque surface de peau avait été touchée. Les soins redonnaient de l’énergie, mais aucun ne la soignait complètement.

 Antekamis en cercle (avec une intruse)

Quand elle se retrouva pour la cinquième fois à la merci de son adversaire, incapable de faire autre chose que de sentir la mort arriver, il s’accroupit à côté d’elle et lui parla.

“Combien de fois vas-tu encore essayer ? Tu pourrais rester là, immobile, reconnaître ta défaite. Il te suffirait de reconnaître que je te suis en tout point supérieur.”

Puis il fit une chose étrange. Il lui expliqua tout ce qui, pour eux, rendait les Antekamis supérieurs aux autres Zoraïs. Son monologue avançait et Laofa sentait sa conscience diminuer de plus en plus… De plus en plus proche de la mort… De la libération.

A ce moment, un soin la toucha. Elle serra les poings et gémit. Fakuang se releva et recula d’un pas, attendant de voir ce qu’elle allait faire.

Luttant contre la douleur, elle se mit à genoux, puis se releva. On lui avait rendu encore moins de vie que les fois précédentes. Elle regarda Fakuang, le regard fou. Il lui retourna son regard, froid mais avec une petite étincelle de curiosité dans le creux du masque. Elle hoqueta de douleur, ignorant le goût de sang dans sa bouche. Elle baissa la tête…

… et fonça droit sur l’Antekami, comme un bodoc en pleine charge. Il fit un pas de côté pour éviter le coup de tête, l’arrêtant d’un uppercut en plein ventre.

Le combat tourna aussi court que les précédents. Mais, de nouveau, tandis qu’elle agonisait lentement sur le sol, il vint à côté d’elle lui parler d’un ton tranquille du rôle des Kamis dans la dégénérescence d’Atys en général et de la société Zoraï en particulier. Son discours était un tel mélange d’absurdité, de contre-vérités et de lieux communs qu’il en devenait presque crédible. Et Laofa, forcée d’écouter, n’avait même pas la force d’émettre une protestation. Cette fois-ci, quand elle se releva, elle inspira un grand coup et décida de changer d’angle d’attaque. Elle demanda :

“Si les Kamis sont aussi pervertis que vous le dites, alors pourquoi ne pas afficher vos discours en place publique, plutôt que de faire des attaques ridicules de temps à autre sur Min Cho ?”

Le coup de poing de Fakuang la prit complètement par surprise. Jusqu’à présent, il avait toujours attendu qu’elle commence à attaquer avant de répondre et de la réduire à l’impuissance. Et cette fois-çi, lorsqu’elle fut dans la boue mêlée de sa sève, forcée d’écouter, il lui donna un cours sur l’importance de l’observation et du silence. Cela ne calmait pas la rage de Laofa. Malgré tout ce temps passé à terre, sa sève bouillonnait toujours autant dans ses veines.

Ils continuèrent ainsi un temps qui sembla durer éternellement à Laofa. Obligée de subir les discours de propagande de l’Antékami lors de ses agonies, sa rage augmentait, surpassant sa souffrance, pour la faire repartir au combat dès qu’on la relevait. Elle surprit le regard étonné de certains Antékamis dans la foule qui les observaient ; et au fur et à mesure de la nuit, quand elle se relevait, elle surprenait sur le masque de Fakuang lui-même un certain effarement à voir la rage de Laofa toujours aussi pure, sa volonté compensant l’état de son corps.

Puis Laofa finit par vraiment craquer. La torture à laquelle elle était soumise depuis de longues heures déjà finissait enfin par avoir raison de ses nerfs. Elle tenta encore une fois de se relever, retomba immédiatement, incapable de lutter contre l’inconscience qui finissait par s’imposer à elle. Elle avait vaguement conscience que Fakuang l’avait saisie par l’épaule, essayant de l’aider à se relever. Elle essaya de le repousser, faiblement. Elle entendit des rires dans l’assemblée, puis sombra dans le néant.

Mais pas dans la mort. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, perclus de douleur, elle ne vit pas le visage étrange d’un Kami, mais l’intérieur d’une tente. Elle se figea, guettant les bruits autour. Un camp en pleine activité… Mais elle était seule, son armure posée au pied du lit de fortune. A son chevet, il y avait aussi une petite fiole d’un liquide noir au reflet pourpre qu’elle reconnut avec un frisson. Une étiquette lui était attachée :

“N’hésite pas sur les remontants, que nous puissions reprendre notre conversation aussi vite que possible.”

Elle serra les poings avec force. Jusqu’au bout, il se moquerait d’elle. Mais il n’était pas le seul à avoir de la ressource. Elle retint un cri de douleur en se relevant. Tout son corps n’était que plaie. Son masque même lui semblait mort. Elle avait du mal à ouvrir la bouche. Cependant, elle était surprise de voir qu’on avait pansé ses blessures et appliqué des baumes étranges. Même sur son masque. Se souvenant des témoignages de contamination par des bandages et remèdes pollués par la goo, elle frissonna. Cependant, elle ne se sentait plus aussi possédée. Elle avait juste envie de fuir.

Elle attrapa l’avant-bras de son armure et soupira de soulagement en constatant que les pactes Karavan qu’elle avait collés là avaient tenu le coup. Deux pactes. Deux fuites possibles. Elle enfila en silence son armure, hésita et saisit la fiole de drogue. Puis elle déchira le pacte pour le Jardin Fugace.

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Ceci n'est pas connu du grand public et il serait surprenant que votre personnage en ait entendu parler.