Un jour, alors qu'elle chassait avec Illicite, la Trykette lui demanda :
-Je peux te confier un secret ?
-Mais oui, je sais me taire sur les choses importantes
-Il y a une guilde karavanière qui va s'installer à Zora.
-Vraiment ? Ça ne serait pas désagréable de voir un peu de variété dans la Jungle…
Elle avait presque oublié cette conversation lorsque quelques jours plus tard, elle croisa un Zoraï qu'elle n'avait encore jamais vu dans les rues de la capitale. Grand, même pour un Zoraï, le port altier, une mise impeccable, il semblait ignorer le regard des homines qui le dévoraient des yeux. Pourtant, ce qui attira l'attention de Laofa fut le petit sigle qu'il portait et qu'elle ne connaissait pas encore.
“Woha !” fit-elle, comme à son habitude. Le Zoraï lui répondit en souriant avec la même formule. Elle se rappela soudain les règles de bonnes conduites dans la société zoraïe :
“J'aurais du dire “Kami'ata”, mais je m'embrouille dans les formules, s'expliqua-t-elle en rougissant.
-Népai y né , on ne dit pas “Kami'ata” à un Kara.
-Un Kara Zoraï ! Enchantée ! C'est assez rare.”
Le Zoraï se mit à rire.
“Oui , je suis une voie un peu différente des mes confrères Zoraïs.
-Est-ce que ta guilde serait Kara ? Je suis en charge des interviews dans ma guilde, et j'ai du mal à trouver des guildes Kara pour proposer un choix varié.
-Oui, ma guilde est Karavan et elle est également en “construction” si je puis dire ! Mais que veux-tu dire par interview ?”
Laofa lui expliqua alors ce qu'étaient les Indécis, et leur projet d'aller interroger les guildes de l'Écorce pour que les nouveaux arrivants puissent faire leur choix sans subir de pression.
C'est ainsi qu'elle fit la connaissance d'Astnaht, le chef des Igo Doun, charmeur et charmant.
Quelques jours plus tard, elle le recroisa et lui demanda des nouvelles de sa guilde.
“Nous l'ouvrirons officiellement ce soir.
-Un feu d'artifice en perspective ?
-Ho non, un simple affichage à la mairie… Il y en aura assez quand nous nous présenterons aux cercles zoraïs, répondit-il en souriant.
-Ça ne va pas être facile face aux Shizu kamistes… Yui, je vois bien le genre de feu d'artifice que ça va faire !”
Il lui envoya un izam plus tard dans la journée :
“Ce soir, finalement, feu d'artifice devant l'étable de Zora à 21H.”
Laofa se demandait ce que l'étrange Zoraï allait faire. Il y avait souvent du monde le soir entre l'étable et le bar de Zora ; allait-il faire une annonce publique ? Il y aurait forcément de quoi raconter.
C'est ainsi qu'elle se retrouva à attendre impatiente que l'heure tourne, tout en se demandant si elle ne devait pas prévenir Vrana. Après tout, ça risquait de faire du grabuge et étant la seule Éveillée actuellement active, c'est elle qui se retrouverait à gérer les ennuis ensuite…
Pour passer le temps elle se mit à enfiler des graines sur un fil, fabriquant des bijoux tranquillement, se vidant ainsi l'esprit, lorsque la voix d'Astnaht la sortit soudain de sa rêverie. Voyant qu'elle levait les yeux, il mit le feu aux quelques fusées devant lui.
Dans le ciel de Zora, des fleurs de feu s'épanouirent, or et ambre dans la lumière du soir. Laofa resta bouche bée, puis se mit à sautiller et à applaudir en riant :
“Hi hi, un vrai feu d'artifice ! C'est la première fois que j'en vois un… Merci beaucoup !
-Il faudra donc que je te montre un grand feu d'artifice, lui répondit-il en riant.”
Laofa en profita ensuite pour commencer à poser ses questions. Au fur et à mesure qu'Astnaht lui expliquait ce qu'ils voulaient faire, le masque de la Zorette affichait une expression de plus en plus stupéfaite.
Bien que pacifistes et cherchant le dialogue plus que le conflit, ils affirmaient ouvertement leurs objectifs : modifier la goo pour pouvoir l'utiliser pleinement, sortir les Zoraïs de leur immobilisme, faire avancer la technologie des Karavaniers pour la rendre plus efficace et moins polluante… Mais ce n'était que le début. Astnaht lui expliqua aussi qu'ils étaient les descendants des Horongi. Laofa sursauta à ce nom. Ils avaient parlé des frères Horongi à la dernière réunion de l'ASA en se demandant justement si des descendants arpentaient encore l'Écorce et si oui, s'ils avaient leurs pouvoirs.
De jour en jour, Laofa guettait avec de plus en plus d'impatience les moments où elle pouvait discuter avec Astnaht. Son esprit sans préjugé, sa franche honnêteté, et sa vision parfois naïve de la nature homine la fascinaient tout autant que son savoir, sa courtoisie exemplaire et ses sourires. Elle savait que c'était un charmeur et avait de toute façon le cœur déjà pris mais savourait tout de même.
Elle n'était pas la seule à fondre, d'ailleurs… Ça l'aurait amusée que Vrana oublie suffisamment longtemps les sacrilèges qu'il prononçait à longueur de temps et cède à son charme. Sa Sokko lui lançait des regards noirs, sachant très bien à quoi elle pensait…
Il lui semblait impossible de haïr Astnaht, mais tous n'étaient pas de son avis. Un jour elle se fit bousculer par un membre d'une shizu connue pour son fanatisme. Sans même prendre le temps de s'arrêter, l'homin lui lança :
“Tu devrais te tenir à l'écart de cette guilde !”
Une autre fois, alors qu'elle amenait ses bijoux à un marchand, elle croisa une Zoraïe qui faisait elle aussi partie de cette shizu kamiste, mais avec qui elle avait toujours eu jusqu'à présent de bons rapports. Elles commencèrent à papoter de choses et d'autres pour arriver au sujet qui animait toute la jungle actuellement.
“Tu devrais arrêter de voir cet individu, lui expliqua son amie. Il est malsain.
-Je le trouve plutôt aimable, moi…
-Yui, c'est sûr, c'est comme ça qu'il attire ses victimes… mais on m'a raconté des choses…”
Laofa écouta sans rien dire les ragots qui couraient sur le dos du karavanier. Elle n'avait pas prévu de lui accorder toute sa confiance, de toute façon. Elle n'accordait plus sa confiance à présent, à personne. Elle espérait pourtant que ce n'était que des ragots…
Elle ne comptait cependant pas se faire imposer ses relations par les kamistes.
Mais le coup fatal fut porté par Astnaht lui-même, lorsqu'il lui affirma soudain vouloir mettre un terme à leurs échanges. Laofa le regarda, surprise, inquiète de ce qu'elle avait pu dire. Elle finit par lui faire avouer ce qui motivait sa décision :
“Certains Zoraïs m'ont justement dit que si je voulais votre bien, il faudrait peut être couper votre “accès”, si je puis dire, à nos recherches pour éviter de vous impliquer plus qu'on ne l'a déjà fait.
-Quels Zoraïs ?
-Des Zoraïs respectueux et sages. Suivez leur exemple Laofa.”
Laofa se sentait trahie, infantilisée, et surtout menacée. Elle devait déjà se méfier des espions des Maraudeurs et des homins qu'ils achetaient, voilà qu'à présent les kamistes la mettaient aussi sous surveillance et menaçaient ses amis ! Et qui, qui avait pu “mettre en garde” Astnaht ? Il refusait de donner les noms, et cela seul suffisait à lui faire douter de qui venait la prévention. Il aurait sans doute parlé si ça avait été le Clan kamiste. Alors, qui ? Ceux qu'elle considérait vraiment comme ses amis ? Vrana, peut-être même ? Comment savoir ?
“Trahie, ils t'ont tous trahie…. murmurait une voix à son oreille. Tu ne peux même pas confier ton amitié à quelqu'un… Ils veulent te mettre dans une petite cage, te voir faire les tours qu'ils aiment… Vas-tu suivre leurs ordres, petite marionnette ?”
Laofa secoua la tête, essayant de lutter contre la colère qui l'enflammait.
Les menaces n'eurent bien sûr pas l'effet escompté. Laofa invita Astnaht à l'ASA, où il découvrit tout étonné des homins qui ne poussaient pas des grands cris quand il parlait d'utiliser la goo pour le bien de l'hominité. Les deux Zoraïs continuèrent leur conversations, apprenant simplement à se retrouver loin des kamistes pour échanger.
Perdus dans la jungle, ils se laissaient alors aller à développer les théories les plus folles. Pour la première fois, Laofa se laissa aller à expliquer les hypothèses qu'elle formulait sur la nature des Puissances, de la goo, des savoirs et pouvoirs cachés de l'Écorce… Elle savait que c'était des hérésies dangereuses mais Astnaht ne s'en offusquait pas, ajoutant ses propres hypothèses, lui confiant aussi d'autres secrets… Exposer leurs théorie en public aurait pu donner envie aux Zoraïs de tester la tradition matisse des bûchers. La Karavan ne les auraient sans doute pas plus laisser dire, d'ailleurs. Mais qu'il était bon de pouvoir discuter de ses craintes et de ses découvertes avec quelqu'un !
Elle attendait chaque jour avec un peu plus d'impatience le moment de le rejoindre. Elle se sentait rassurée en sa présence, retenait encore quelques secrets plus par habitude que par réelle méfiance… C'était le compagnon idéal pour progresser dans les recherches. Comme elle, il envisageait d'aller chercher le savoir là où les homins l'avaient déjà trouvé, sans souci du danger. Savoir qu'elle n'était pas seule la réconfortait. Infiltrer le Cercle Noir, voire peut-être même le laboratoire de Pei-Ruz, paraissait soudain réalisable sans y laisser son âme.
Et puis, un jour, elle croisa Kizhanto, l'une des rares nouvelles recrues Igo Doun, qui fulminait devant l'étable. Il lui apprit alors que leur chef avait prévu de rejoindre les Maraudeurs…
Soudain terrifiée, Laofa parcourut la Jungle dans tous les sens, cherchant désespérément le Zoraï à qui elle avait failli confier sa vie, à qui elle avait failli laisser l'accès à sa mémoire… Elle le trouva au soir, engagea la conversation tout en sachant que c'était une bataille trop dure à gagner pour elle, tentant de comprendre… Elle savait, à quelques allusions qu'il avait laissé échapper, que l'ambiance au sein de la Karavan ne lui convenait pas toujours ; c'était visiblement ce qui avait fini par l'user le plus.
Il finit par lui dire :
“Je n'arrive plus à croire en l'hominité …
-Et moi, j'essaie d'y croire, aussi fort que possible, mais ce n'est pas facile quand je vous vois baisser les bras.”
Astnaht sourit tristement.
“Continuez à y croire , il faut des personnes comme vous …
-Vous avez tenu bon face aux Zoraïs, et c'est la Karavan qui arrive à vous abattre ? C'est trop facile, répliqua-t-elle tristement.
-Vous ferez avancer le monde à vous seule.
-Né… Mais je serai seule, yui, ça je le sais.”
Ils finirent par se séparer et ce soir là, Laofa se sentait trop déprimée pour même aller se saouler. Elle rentra chez elle et pleura longuement, jusqu'à ce que l'épuisement la fasse sombrer dans le sommeil.
Au matin, elle trouva une lettre devant sa porte, l'ouvrit et découvrit l'ultime adieu d'Astnaht. Était-ce leur conversation qui l'avait fait changé d'avis ? Autre chose ?
Woha Laofa yaza !
J'espère que vous ne m'en voudrez pas pour tout ceci et pour les choix qui vont suivre pai après une longue réflexion j'ai décidé de quitter la Jungle et de me retirer de toutes ces guerres et tous ces problèmes avec l'hominité.
Je ne sais quand le masque d'Astnaht Sa-cho refera surface sur Atys et je ne sais comment et à quel point j'aurai changé ….
Pai sachez une chose et retenez la , vous deviendrez sûrement la gardienne de l'hominité. Une grande homine qui fera de grands choses !
Encore guzu de vous laisser comme cela et j'ai pour espoir de ne pas revoir une homine m'en voulant pour tout ça.
Mata nékéan Laofa.
Astnaht Sa-Cho
Ne sachant où il pouvait être allé, elle confia sa lettre au vent, espérant que, peut-être, il aurait sa réponse… Elle ne pouvait tout simplement pas se résoudre à ne même plus le voir. Et pourtant, elle le savait, cette solution était préférable à le voir rejoindre la guerre des Maraudeurs.
Woha Astnaht Aribini,
Nos conversations me manqueront durant votre retrait du monde mais je comprends le besoin de parfois se retirer loin de tout. C'est d'autant plus compréhensible à la suite des bouleversements que vous vivez. Prendre le temps de réfléchir, de se ressourcer, de se transformer aussi, sans subir les influences et les sollicitations des autres… Yui, je comprends très bien. J'espère cependant que le “nékéan” de votre lettre n'était qu'une figure de style. Vous me manquerez, et vous manquerez à la Jungle aussi. Mata waki (je garde espoir).
Laofa