Convalescence

Où Laofa se rend compte que l'amour ne suffit pas.

Les jours qui suivent le retour de Jaggernot s’écoulent comme un rêve tourmenté, la douleur le faisant délirer jusqu’à ce que le sommeil finisse par s’imposer. Dans ces circonstances, difficile de définir le temps qui passe, et ce qui tient de la fièvre ou de la réalité.

Laofa respecte son désir de ne voir personne, sans bien le comprendre. Lorsqu'elle a ramené son Légionnaire, il a insisté là dessus : personne ne devait savoir qu'il était en vie. Aucun guérisseur ne devait le voir.

Elle trouve le moyen d’améliorer ses compétences de soins. Elle revient régulièrement avec des lots de bandages, des baumes étranges et des potions plus ou moins agréables, mais qui apaisent le blessé un moment. Aux gestes fatigués de la Zoraïe, on sent que se procurer ces remèdes n’a pas été sans mal. Parfois, Jaggernot se réveille assez pour voir l’air inquiet de son masque, bouleversé même ; mais quand elle se rend compte qu’il redevient conscient, elle efface ses inquiétudes et sourit, retrouvant sa joie de vivre simplement en le voyant retrouver ses sens.

A force de soins et d’attentions, peut-être aussi à cause des drogues de plus en plus efficaces que Laofa ramène, la douleur et la fièvre finissent par refluer, laissant la place à une fatigue intense. Le temps paraît long à Jaggernot, coincé dans ce petit appartement sans avoir grand chose à faire. Laofa part souvent toute la journée : elle finit par lui expliquer qu’elle est rentrée en apprentissage auprès de Kia Bo-Boo, le secouriste Zoraï, et qu’elle passe beaucoup de temps dans la kitinière, à apprendre ce qu’elle met en application avec Jaggernot le soir. Elle ne raconte pas ses rencontres avec les kipestas mais pas besoin d’être devin pour le lire sur son masque… ou son armure qui paraît chaque jour un peu plus carbonisée.

Elle écrit tandis que Jaggernot somnole ; à cet occasion, il découvre que lorsqu’elle est vraiment concentrée sur ce qu’elle fait, elle chantonne doucement. C’est assez drôle, surtout qu’elle ne semble pas du tout en être consciente. Elle marmonne aussi parfois quand des textes ou des connaissances lui posent problème, parfois assez fort pour que le Fyros comprenne sur quoi elle travaille. Fidèle à elle-même, elle papillonne sur des sujets forts différents, passant des problèmes de santé publique aux contes et légendes de chaque peuple, de la théologie à l’examen de la communication entre les plantes, de l’étude des kitins à des réflexions sur les mécaniques politiques…

Puis une nuit, Jaggernot se réveille brusquement, entendant que les murmures ont changé de ton. Un instant, il croit qu’une autre personne est présente dans la pièce, dont il n’entend pas les réponses. Inquiet, il regarde discrètement. Personne d’autre que Laofa devant sa table, qui se prend le masque entre les mains, une lampe à ambre éclairant à peine la scène.

-Tais-toi, tais-toi, tais-toi… souffle Laofa, comme à elle-même. Puis elle gémit.
-Ça suffit… Je n'ai pas besoin de toi… Tais-toi…“

Elle avale une gorgée de la bouteille posée devant elle. Tente d'avaler, plutôt, car la bouteille a visiblement déjà été vidée. Laofa serre les poings, le masque contracté d'une colère hors de propos.

-Tu ne m'auras pas comme ça ! Je ne suis pas aussi faible qu'il le disait !

Elle lutte visiblement contre elle même, la détermination de son masque démentie par l'agitation de ses mains qui se crispent et se décrispent, grattant parfois rageusement son bras droit ou serrant avec une force douloureuse une corne de son masque. Elle finit par se lever brusquement, saisit son épée et sort à toute allure de l'appartement, avant que Jaggernot ne décide s'il doit intervenir ou non.

Encore trop faible pour la suivre, il retourne péniblement à un sommeil agité. Il finit par l'entendre revenir après un temps qui paraît interminable.

-Laofa…

La Zoraïe sursaute en entendant l'appel du Fyros.
-Tout… tout va bien, Jaggernot, répond-elle d'une voix mal assurée. Juste une… une brusque envie de salade.

Il n'a même pas besoin de voir son masque pour savoir qu'elle-même ne croit pas à ses mensonges. Elle s'est visiblement fait trempée par la pluie, ce qui n'a pas suffi à rincer la sève et les dards de Cratcha mêlés au sang de l'homine.

-Guzu de t'avoir réveillé. Rendors-toi… ça va aller…

Elle éteint la lumière et se change dans le noir, avant de venir s'allonger sur la paillasse qu'elle a installée à côté du lit pour ne pas le déranger lorsqu'il dort. Il lutte contre le sommeil un moment, écoutant le souffle de Laofa qui s'endort.

Les jours suivants, Laofa semble retrouver sa joie de vivre naturelle, sans se forcer. Elle n'évoque à aucun moment ce qui a pu se passer, à tel point que Jaggernot finit par se demander si ce n'était pas encore un accès de fièvre qui lui aurait fait rêver la scène. Elle sourit même quand elle n'est pas consciente qu'il la regarde, elle ramène de la viande de Pyr qu'elle prépare comme une vraie Fyros (visiblement, elle se débrouille mieux sur les recettes de guerriers, simples et roboratives que sur les plats un peu raffinés… Sa tentative de salade zoraïe des premiers jours étant franchement immangeable), elle lui parle des nouvelles de l'Écorce lorsqu'il est assez réveillé pour tenir une conversation… Un soir, il la voit même revenir avec un insigne accrochée à son corsage, une guilde inconnue. Elle rit en suivant son regard :
-C'est juste un entrepôt pour stocker quelques matières premières pour l'ASA ! Un projet complètement dingue.

Les blessures du Fyros vont mieux et il arrive même à se déplacer seul, quoique pas bien loin, encore faible. La douleur se réveille parfois avec certains mouvements mais elle n'est, sinon, plus qu'un souvenir. Ces progrès ne sont sans doute pas pour rien dans la bonne humeur de Laofa. Il ne reste que ce besoin de dormir qui le prend plus de la moitié de la journée…

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