En rentrant ce soir là, Laofa s’écroule contre la porte en poussant un long soupir, puis sort la bouteille qu’elle transporte toujours avec elle et en boit plus de la moitié d’une traite. L’odeur caractéristique de la mixture envahit la pièce, mélange de plantes et d’alcool.
Affalée là, elle murmure un moment toute seule, avant de retrouver finalement un peu de maîtrise d’elle-même. Elle s’approche alors enfin du Fyros dans son lit, toujours plongé dans un profond sommeil. Elle le contemple un long moment, des larmes pleins les yeux, repousse avec douceur une mèche rebelle de son front.
“Ho, Jaggernot… Comme j’aimerais que tu te réveilles, que tu me prennes dans tes bras… C’est si dur de te voir dépérir chaque jour un peu plus, alors que ton corps est presque guéri…”
Elle plisse le masque un instant, chuchote à elle-même :
-Non, je ne l’achève pas, ça n’a rien à voir avec la miséricorde !
Le vertige la saisit et elle se laisse glisser contre lui, appuyant sa tête avec délicatesse contre son torse.
-Ce truc… je ne sais pas ce que c’était, mais ça rend ça plus fort. Oy, ça me rend plus forte aussi. Plus embrouillée.
Durant une phrase, sa voix a pris les accents des originaires des Lacs, avant de retrouver son timbre habituelle.
-Je ne peux pas te garder ici. Tu es en danger. Je dois déménager, de toute façon… Quand les Zoraïs ouvriront les yeux, j’ai intérêt à être loin. Mais je ne peux pas t’emmener avec moi. Je n’arriverai sans doute pas à te porter seule, déjà. Et puis, visiblement mes soins ne suffisent pas.
Sa voix se brise sous l’émotion.
-Mais surtout, surtout, je ne peux pas prendre le risque de te blesser… C’est de plus en plus dur de lui résister. Surtout des soirs comme celui-ci où tout semble lui donner raison. Un jour, je vais revenir, et je ne serai plus moi-même, et que fera cette autre Laofa à celui que j’aime ?
Elle dépose un baiser sur la joue de Jaggernot, puis sur ses lèvres, se gorgeant de son odeur, goûtant avec désespoir sa peau.
-Il faut que je te mette à l’abri. Peut-être même qu’ils trouveront comment te réveiller.
Laofa rit tristement, un rire si triste qu’il ressemble à un sanglot.
-Avec un peu de chance, tu te réveilleras en ayant oublié jusqu’à mon existence. J’aurais du te laisser faire ton rite au Nexus, j’aurais du résister aux élans de mon cœur, cela aurait été une vraie preuve d’amour. J’ai été égoïste. Je serais peut-être morte de désespoir en te voyant me regarder comme une inconnue, mais tu serais vivant et en bonne santé, actuellement. Je savais que je ne devais pas me lier, que je n’allais amener que le malheur… Je n’ai pas pu résister, j’avais tellement envie d’être avec toi… J’en ai toujours tellement envie…
Elle couvre son corps de baisers et de caresses mêlées de larmes, sans voir de changement chez le Fyros qui semble toujours inconscient.
-Je vais prévenir les Légions Fyros. Je ne vois pas à qui d’autre te confier. Il va falloir que j’affronte Glorf… Il va sans doute me traiter de sorcière après ça. Sans doute pire, il n’est pas tendre… Mais je vais le faire, pour toi. Il faut que je te protège, même si c’est la dernière chose de bien que j’arrive à faire.
Laofa se blottit contre Jaggernot, sanglotant pitoyablement.
-Tu vas me manquer… Tu me manques déjà. Je voulais te voir heureux, te montrer que la vie avait de belles choses à offrir, et je ne t’ai amené que du malheur. Je t’aime, Jaggernot. Je t’aime tellement… Je dois te laisser une meilleure chance de survivre, arrêter d’être égoïste.
Pleurant et tremblante, elle finit par s’endormir contre lui, s’agrippant à lui comme s’il ne devait pas y avoir de lendemain.