Je suis un peu perdue. Avoir cédé à Az s’est révélé extraordinairement bon, et peut-être qu’en d’autres circonstances, je pourrais me satisfaire de ça simplement. Mais j’ai l’impression, encore une fois, de me mettre dans la panade.
Je suis allée cherché quelques infos sur sa guilde. Je me sens un peu bête. Pourquoi est-ce que je n’ai pas compris tout de suite ce que ça voulait dire «Guerriers Kamistes» ? Une bande de fanatiques batailleurs, dangereux et intolérants, voilà ce que ça veut dire. Bien sûr que du prestige entoure tout ça : de grandes batailles, des périls redoutables, du mystère… Mais au final, il s’agit juste de verser de la sève et du sang pour une idéologie.
Je défends la paix, en accord avec mon héritage ranger, mais il faut bien l’avouer… C’est finalement la violence et la guerre qui m’attirent. Que ce soit les homins qui m’ont fait vibrer ou les causes vers lesquelles je tends… Toujours, il y a un parfum de danger et de violence. Pour trouver un remède à la goo, sur les milles chemins qui s’offraient à moi, pourquoi ai-je choisi d’aller enquêter sur les connaissances des pires bandes de torbaks qui hantent l’écorce ? Je sais que les guérisseurs zoraïs ont quelques savoir utiles, que la Confrérie du Grand Dragon a des choses dans ses archives ; ou même les trytonnistes ! Ils sont peut-être aussi une belle brochette de crapules, dans leur genre, mais bien plus fréquentables que le Cercle Noir ou les Maraudeurs, et j’ai loupé bêtement l’occasion d’aller en apprendre plus avec eux. Pour fouiller dans l’histoire d’Atys, est-ce que j’ai vraiment besoin de m’aventurer toute seule dans les Primes, alors que les réponses sont aussi à la surface, tranquillement rangées dans des archives poussiéreuses ?
Quand aux homins qui bouleversent mon cœur… Le bilan n’est pas terrible. Cyvos était le seul neutre de l’histoire et bon, de toute façon, il n’y a rien eu. Mais ensuite… Il faut bien le dire, de catastrophe en catastrophe. Pas la peine de s’attarder sur le cas de Fakuang ; je ne sais pas où il est passé mais j’espère qu’il pourrit dans un coin sombre. Jaggernot, c’était… à la fois merveilleux et horrible. Pourquoi suis-je allée m’amouracher d’un Légionnaire ? Même s’ils ne prennent pas partie dans les guerres de religion, ça reste des fanatiques violents. Toutes les horreurs qu’ils peuvent dire sur les Matis… J’espère qu’il y a plus de mauvaises blagues là-dedans que de vérité, mais je n’en suis pas complètement convaincue. Jaggernot était merveilleux, yui, mais j’ai été idiote de croire pouvoir l’aider alors que j’avais moi-même un lourd fardeau à porter. Pour le coup, l’amour nous a détruit tous les deux. Il a voulu m’aider et en est presque mort. J’espère que lorsqu’il se réveillera, mon nom ne lui évoquera plus rien… je ne lui aurai amené que plus de malheurs. Les quelques instants de bonheur que nous avons pu partager, je les chérirai dans mon cœur à jamais, mais s’il se souvient de moi à son réveil… Je ne pourrai plus le regarder en face, de toute façon. Je l’ai conduit à une issue fatale, tout en le trompant. Enfin, je me persuadais alors que je ne le trompais pas, mais… Ha, autant être honnête. Mon beau légionnaire était là à mes côtés, et je me laissais troubler par le masque magnifique d’Astnaht, cachant mon émoi derrière l’intérêt scientifique que je portais à la démarche du Zoraï.
Astnaht… Il me bouleversait et je luttais contre moi-même pour ne pas voir mes sentiments. Son absence continue de me briser le cœur. Il avait tout pour qu’une Zoraïe raisonnable le fuie, ce qui le rendait encore plus fascinant à mes yeux. Jusqu’à la fin, je suis restée mesurée, j’ai veillé à mes petits secrets, me méfiant de ce qu’il pourrait en faire, alors qu’il m’en racontait bien trop… J’aurais du lui dire la vérité, finalement. Il en aurait fallu bien peu pour qu’il me convainque de le rejoindre… Il aurait juste fallu qu’il le demande, en fait, et je l’aurais sans doute suivi au bout de monde, au bout de l’enfer surtout… Nous aurions ensemble exploré les chemins de l’hérésie et transgressé toutes les lois… Oui, ce n’est finalement pas plus mal qu’il se soit retiré du monde. Avec lui disparaissent des savoirs inédits, mais au moins, je ne me suis pas trop vite enfoncée dans les ténèbres.
Avec la disparition d’Astnaht et de Jaggernot, je me suis soudain retrouvée vraiment seule. C’est à ce moment que mon prétendant le plus fidèle est arrivé. Et là, en regardant les choses de manière raisonnable… Je l’ai traité durement alors que sa fréquentation était beaucoup moins douteuse. Un vrai neutre, au moins, ni ami, ni ennemi d’une faction ou d’une patrie. La seule chose qui l’intéresse, c’est les homins (et les homines !). Entraide, amitié, rigolade et fêtes arrosées… Mon côté tryker ne pouvait qu’apprécier Chonchon, ma fidélité à Jaggernot m’a amenée à le repousser sans cesse… Pourtant, c’est le seul à m’avoir proposé d’adopter ! Combien de petits réfugiés sont passés entre nos mains ? Le temps de les mettre en garde contre le monde qui les entourait, de leur expliquer comment survivre, de les armer et de les équiper pour qu’ils affrontent les dangers de l’Écorce avec sérénité… C’est presque dommage que les Matis m’attirent si peu. Ho, non, là encore, soyons honnête : mon ami n’est sans doute pas assez dangereux pour m’intéresser.
Car, à côté de ça… Il n’a pas fallu grand chose pour que mon cœur se mette à battre plus fort lorsque je croisais Halfaz. De la peur, oui, un peu, mais aussi un intérêt qui n’était qu’à moitié professionnel pour ce Zoraï rénégat. Un taré de Maraudeur ! Je me sentais troublée par un tueur d’innocents, un type sans état d’âme ! Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond chez moi. Tout ça parce qu’il m’a souri, relevée deux trois fois, offert quelques babioles, quelques mots gentils ? Je me doutais qu’il agissait en recruteur et pourtant… Pourtant… Heureusement que l’Écorce l’a ravalé, lui aussi… J’ai perdu un contact de choix chez les Maraudeurs mais j’ai peut-être sauvé mon âme au passage.
Et voilà… Alors que je commence à me dire que je devrais mieux contrôler les élans de mon cœur, que la nécessité me force à m’éloigner encore plus des homins, je rencontre Az. Le chef d’une guilde mythique. Je me souviens encore de la tête de Kaewa tandis que j’essayais de lui expliquer de quelle légende il s’agissait… Et moi, juste passionnée par ce qu’un homin qui en avait tant vu pouvait avoir comme histoires à raconter… Comment aurais-je pu me douter que cela allait autant déraper ? J’ai sous-estimé le poids de ma solitude et laissé passer trop de petites blagues gentiment séductrices.
Il n’a pas commencé bien différemment d’autres homins que j’avais éconduits auparavant : un petit sourire, un compliment de trop, un sous-entendu étrange… Mais je ne me suis pas montrée très douée pour mettre de la distance. Il faut dire, aussi, que je n’avais pas le cœur à refuser son aide dans mes explorations les plus ardues. C’est plus simple quand on est bien accompagné. Mais hélas, c’était aussi bon de se sentir désirable dans le regard de ce vieux Fyros…
Encore vert, le vieux Fyros, en fait. Ce qui n’était que taquinerie s’est transformé en vraie séduction. Plus je tentais de me dérober, plus il se montrait charmant… Avec un goût des questions impertinentes qui ne pouvait que me plaire. Se forcer à se remettre en question, à interroger son cœur et ses motivations ; voilà ce que j’aime tant dans un échange. Je n’ai pas trop compris comment j’ai fini par me retrouver dans son appartement… j’ai cédé, parce que la solitude me pesait depuis tant de cycles, que j’avais tellement soif de tendresse… Quelque part, j’étais prête à dire oui au premier homin venu.
Le lendemain, je me suis prise à espérer qu’il n’aie vu en moi qu’un jeu amusant, une aventure passagère, vite oubliée. Parce que cela aurait été plus simple. Je sortais à peine de ma romance avec Jaggernot, et la fin m’avait laissé un goût plus qu’amer. Céder à Az était une manière de faire le deuil, mais… pas plus.
Pas plus ; mensonges à moi-même encore une fois. Quand deux corps se reconnaissent, il est difficile de les séparer. J’ai revu Az et notre relation a continué à s’approfondir.
Suffisamment pour que je commence à me poser quelques questions, à voir où tout cela pouvait mener. Rien de surprenant, mais… C’est le chef de la guilde kamiste la plus pure, du genre à ne pardonner à aucun hérétique, à appliquer la mort comme seule sentence. Le mot tolérance ne doit pas exister dans leur langue.
Et moi, je ne suis pas seulement la pacifique tenante gnost qu’on voit à toutes les assemblées. Je suis une hérétique, une gooifiée, je fréquente les milieux les plus louches, je contourne les lois fréquemment… Que va-t-il se passer quand il va apprendre que son amante va régulièrement passer quelques heures avec les clans maraudeurs ? Quand il verra la tache sur mon bras, les scarifications sur l’autre ? Que j’expérimente divers remèdes sur moi ? Que ma cachette contient (ha ha) quelques flacons dont la goo est un des composants principaux ? Il faut d’ailleurs que je finisse mes études d’alchimie et que je les étudie, ces trucs, arrêter d’avoir peur… Et s’il apprend que mes dappers viennent du réseau des Ombres, donc, sans doute, de la Karavan et des Maraudeurs (je ne suis pas si dupe qu’Aby le croit sur la destination de ce que je fournis) ? D'autant que la Karavan et les Maraudeurs me paient aussi régulièrement… Dons désintéressés mon œil, ils me voient comme une alliée et croient s'assurer de ma coopération comme ça.
Je ne peux pas le tromper. Je n’ai pas trompé Liana en m’enrôlant chez les trytonnistes alors que je rêvais d’accéder à leurs connaissances, j’ai été franche avec eux et leur ai raconté la vérité ; Az mérite autant de respect. Surtout que ça risque de lui retomber dessus. Il a un rôle politique important, je ne peux pas ternir son image en l’associant à moi.
J’ai peur qu’il ne comprenne pas… J’ai peur aussi qu’il le prenne mal et tente de me faire abjurer ce qui fait ma vie. J’ai peur qu’il se montre dur avec moi. J’ai peur qu’il me rejette, qu’il expose tout au grand jour. J’ai peur, encore plus, qu’il tente de m’aider dans mon combat. J’ai peur de devoir le quitter, et j’ai tout autant peur de rester…