Laofa marchait dans le sable, tentant de retenir les larmes qui perlaient à ses yeux. Elle avait fui Pyr avec toute la dignité possible, espérant ne pas avoir trop montré son désespoir.
Elle tentait à présent de réinterpréter ce qui c’était passé avec un regard plus serein… Mais impossible. L’image du Fyros soudain froid et guerrier, dans cette armure terrifiante, les armes à la main, s’était gravée dans son esprit et refusait d’en sortir. Elle essayait de se convaincre qu'il n'avait sorti cette armure maraudeuse que pour frimer, que la dureté de ses paroles sur la nature de leur relation n'était pas un manque d'amour.
-Du calme, du calme… tout ça est politique, uniquement politique…
Elle entendait l’Autre ricaner.
-Politique, bien sûr… Casse-croûte. Il se sert de toi, comme les autres, rien de plus.
-Quand bien même, ce n’est pas grave. C’est même très bien.
-Il te tuera si tu lui en laisses l’occasion.
Il ne fallait pas discuter avec l’Autre. Cela lui donnait de la force. Elle n’était même pas sûre de comprendre ce qui l’agitait tant.
C’était peut-être la culpabilité d’abandonner si vite Jaggernot pour se réfugier dans les bras du premier Fyros venu. Ou parce qu’elle ne comprenait pas bien ce qui l’attirait chez ce guerrier et que cette relation ne ressemblait pas vraiment à ce qu’elle connaissait.
Elle finit par s’asseoir sur une dune, surveillant plus bas les gingos qui jouaient dans le sable.
-Réfléchissons. Je rencontre un type sympa, qui se propose de m’accompagner en balade. Je n’allais pas dire non ; j’étais incapable d’avancer seule. Bon, et puis ça ne prêtait pas à conséquence, né ? J’étais bien prête à payer un groupe de mercenaires pour progresser… Bon, mon accompagnateur se trouve être aussi dragueur que Chonchon dans ses bons jours. C’est amusant, assez plaisant, mais bon, hein… Si on commence à dire yui à tous les homins un peu chauds ! Enfin, on peut, yui, quand on est… quand on a le temps pour ce genre de choses. Mais le temps je ne l’ai pas, et puis la dernière fois que j’ai dit yui et que j’ai cédé… J’ai pas de chance en amour…
-Tu les tues avant qu’ils te tuent…
-Ha, tais-toi ! C’est n’importe quoi ! Il n’y en a qu’un…
-…deux…
-qu’un seul avec qui il y a eu quoi que ce soit !
-…et il est mort…
-Pas encore !
-Pas loin… tu aurais du l’achever quand tu avais l’occasion.
Laofa se prend le masque entre les mains, comprimant ses cornes avec force, jusqu’à ce que la douleur amène des petits points noirs à danser devant ses yeux.
-Az ! C’est Az qu’il faut que je comprenne ! Le reste, c’est du passé. Fini.
Elle reprend son souffle avec difficulté, résistant encore à l’appel de la boisson. Elle doit comprendre avant de se laisser aller.
-Il est fyros. Je me demande si ce n’est pas génétique, de craquer devant les Fyros, vu que Zirania aussi… Qu’est-ce que je raconte ! Mais, qu’il me rappelle Jaggernot… Yui, juste ce qu’il faut, le petit truc en trop… J’avais tellement besoin de tendresse, c’était déjà dur de résister, certains jours, avec Chonchon. Et Jena sait que je n'ai aucun goût pour les Matis, surtout aussi mal habillés. Mais quelle idiote, quelle idiote !
Le chef d’une des plus prestigieuses guildes kamistes. Ce n’était pas comme si elle ignorait ce que ça voulait dire. Elle y avait déjà réfléchi ces derniers jours. Elle avait essayé de trouver des conseils auprès de ses amis, mais que pouvaient-ils lui dire ? Entre ceux qui étaient kamistes, et qui ne voyaient pas en quoi le fanatisme pouvait être un problème, et ceux qui étaient neutres, mais neutres du genre à se désintéresser de la politique au point de ne même pas savoir quel dirigeant gouvernait chaque pays, sa romance avec un chef de guerre kamiste leur paraissait banale. Sans conséquence.
Laofa avait un peu mieux vu les problèmes à venir. C’est pour cela qu’elle avait cherché la petite bête, ce soir, tentant de faire parler Az, pour savoir un peu plus à quoi s’attendre.
-Un Guerrier ne montre pas ses sentiments, il est discret sinon il n'est pas Guerrier !
Voilà ce qu’il lui avait déclaré, dans cette terrifiante armure. En public, pas question de montrer son affection pour lui, ou elle allait les mettre tout les deux dans l’embarras. Enfin, elle allait le mettre, lui, dans l’embarras, ça, c’était sûr.
Et si Alyela et son seigneur apprenaient sa nouvelle liaison, elle se retrouverait avec un nouveau point faible à protéger. Az était fort, mais les Maraudeurs étaient sournois et la force ne protégeait pas de tout. Elle l’avait bien vu avec Jaggernot.
Garder cette liaison secrète… Il allait falloir faire oublier à ses amis ce qu’elle avait raconté ! Elle s’en voulait d’avoir parlé avec Kaewa, elle savait qu’elle devait se méfier d’elle, mais n’arrivait pas à la voir comme une espionne.
-Tous des ennemis, tous des traîtres…
-Yui, yui, c’est possible, mais je suis homine, alors zut !
C’était vrai. Tous ceux à qui elle en avait parlé pouvaient, potentiellement, se révéler une faille, de leur plein gré ou de manière moins consciente.
-Ça ne va pas être facile à rattraper.
-On pourrait tous les tuer.
-T’es qu’une sale bête basique. Tuer, toujours tuer. Frapper, faire souffrir… Rien de mieux ?
-… Tu ne sais pas mentir…
-Yui, chacun ses problèmes.
-… Mais moi je peux.
Laofa se figea. L’Autre utilisait rarement le “je”. Quand sa personnalité s’affirmait autant, ça annonçait les ennuis. Et en même temps, c’était vrai… Elle ne savait pas faire mentir son masque, mais l’Autre… Elle avait utilisé une fois cette capacité.
Céder la place à l’Autre, même un peu, c’était risqué. C’était aussi tentant, parfois, car l’Autre savait des choses qu’elle-même ne pouvait pas faire.
-Je suis là pour t’aider. Te rendre forte.
-Né, tu es là pour tuer et prendre ma place pour le faire.
-Je ne suis qu’une part de toi.
-Je souscris de moins en moins à cette théorie. Même si c’est le cas, ça ne change pas grand chose. Je ne veux pas que tu fasses du mal à mes amis.
La voix ne répondit rien. Elle savait que Laofa avait déjà accepté.
-Qu’est-ce qui me perturbe autant, finalement, avec mon Guerrier ? Je comprends qu’il faille garder le secret. Cela nous est utile à tous les deux.
-Il se sert de toi.
-Et moi de lui. On est juste deux homins forcés à la solitude qui se réconfortent un peu.
-Oy, c’est ça qui te perturbe ! C’est pas ton Rouge. Tu ne peux pas le laisser faire danser ton cœur, ni croire que cela va durer toujours. Tu ne fonderas jamais de famille avec lui. Tu ne vieilliras pas à ses côtés. Tu ne peux même pas lui demander du soutien dans tes recherches, du soutien pour faire face à ta corruption. C’est qu’une grenouille verte, même si c’est une sacré grenouille !
Laofa reste figée d’étonnement, de stupéfaction. Puis s’effondre et pleure à chaudes larmes devant la vérité qu’elle vient de trouver.
Elle se laisse enfin aller à vider sa gourde, puis anesthésiée, prend la direction de Thésos et finit la soirée en vidant la cave de Pecus Cegrips.