Un coup de pioche, un autre, balayer la source pour la dégager, recommencer les coups de pioche…
La Zoraïe s’applique autant qu’elle peut sur ses sources mais la tâche est longue et trop répétitive pour elle. Régulièrement elle s’assoit, repose ses bras un moment, suivant le vol des libellules ou des hélicanes, laissant son esprit s’envoler avec eux, vers des histoires lointaines.
Un coup de pioche, et encore un. C’est en général quand elle est arrive enfin à se concentrer sur ce qu’elle fait que quelqu’un surgit derrière elle et la surprend. On se demande après pourquoi elle a du mal à se concentrer… Sauf si elle allait forer au Bosquet vierge. Là-bas, la pire rencontre du coin reste les torbaks, et les bestioles en question ont fini par apprendre à éviter de venir renifler trop près de ses sources. Parce qu’elle fait à présent de grosses explosions, bien sûr ; ils trouvent toujours la chair de Laofa aussi goûteuse.
Mais pas de kincher, comme au Havre ; et surtout pas d’Antekamis et autres Zoraïs suspects, comme au Bosquet de l’Ombre ou au Vide.
Laofa jette un regard autour d’elle, vérifiant qu’il n’y a toujours personne dans la zone. Tandis qu’elle quitte sa source des yeux, celle-ci se met soudain à prendre une couleur étrange. Un bond en arrière, et elle évite de justesse l’explosion.
-Toub de toub… si quelqu’un voit ça je vais encore avoir droit à quelques remarques…
Une partie du travail de foreuse, d’après les critères de la Zoraïe, consiste à camoufler le crime. Reboucher les trous, quoi…
Ce n’est pas qu’elle n’aime pas le Bosquet Vierge, mais ce qu’il lui faut c’est des graines. Et les graines en grosse quantité, il y a peu d’endroit où les trouver. Elle pourrait bien sûr quadriller la Jungle pour trouver un autre lieu de forage mais déjà que manier la pioche c’est pas amusant, s’il faut en plus s’arrêter tous les 100 mètres pour trianguler un hypothétique gisement de graines… Donc, ces derniers temps, elle se retrouve au Vide où il y a toujours ce qu’elle cherche. Si elle arrive à comprendre comment on motive les sources de graines à apparaître, juste celles-ci et pas les autres, elle retournera tenter sa chance dans une région moins dangereuse.
D’autant que l’autre masque ravagé de maraudeur semble affectionner le coin aussi… Les papotages à cinq voix pour deux homins, ça va bien à petite dose. Surtout quand il faut surveiller que les armes restent au fourreau. Ça faisait déjà deux fois qu'elle tombait sur lui ici.
Laofa arrête de scruter la zone pour se remettre sur sa source. Un coup de pioche, un autre, encore un… Enfin, quelques graines sortent de terre.
C’est qu’il en faut, des graines, pour faire des jolis bijoux. Et il en faut, des bijoux, pour tous les réfugiés qui débarquent à chaque cycle de Silan. Elle envoie ceux qu’elle croise vers l’Université des Justes et fait suivre des colis de bijoux. Ils sont loin d’être parfaits, mais ça protège de quelques sorts, ces amulettes, c’est mieux que rien. La difficulté étant de passer en coup de vent, avant que le Matis lui fasse les yeux doux et la demande encore en mariage.
Laofa soupire. C’est vrai que la proposition est tentante : un homin qui n’est pas engagé dans les conflits en cours, toujours prêt à aider son prochain sans rien demander en retour, qui veut une famille et des enfants… Aurait-elle dit yui dans une vie parallèle ? Si elle n’avait pas eu l’idée de forer un jour au Promontoire des Kipees…
Non, ça n’aurait rien changé. Elle se serait retrouvée à faire des bêtises quand même. On ne fonde pas de famille quand on fouille dans les entrailles d’Atys, c’est un coup à faire des orphelins de plus. Et puis, vraiment… ce n’est pas son type d’homin.
La couleur encore verte de sa source et l’évocation des Primes lui font penser à un autre homin. Plus de nouvelles depuis le Lai-le Ban. Elle savait que ça arriverait, qu’il finirait par ne plus tolérer ses fréquentations gênantes, et lors du procès la Fyrette n’avait pas été très discrète… Quelques larmes arrosent la source qui vire au rouge sous le manque de précision soudain des coups. Se préparer au malheur ne le rend pas moins douloureux quand il finit par arriver. Elle soupçonne que le taciturne guerrier va se contenter de l’ignorer à présent. C’est toujours mieux que de se prendre un coup de hache, d’accord… Mais son absence est si dure à supporter, elle soupire après son étreinte et ses mots doux, sa force et sa douceur. Il ne lui reste plus qu’à chérir le souvenir de leurs rencontres furtives et les quelques lucios qu’elle a gardés.
La source s’éteint et Laofa s’assoit à côté, regardant la lumière décliner.
Quelque part, c’est tout aussi bien. Il lui reste peu de temps, elle le sent. Il lui reste à aller sur les Anciennes Terres à présent et c’est tout aussi bien que plus personne ne l’attende de ce côté de l’Ecorce. Il y a tous les projets avec l’ASA bien sûr mais… qui sait, elle reviendra peut-être de son voyage.
Il lui faut mettre au propre le résultat de ses recherches avant de partir, que tout ne soit pas perdu si elle échoue là-bas. Mais ensuite…