Ça ne va pas mieux. Chaque jour qui passe, j’ai l’impression de perdre un peu plus le contrôle. Je suis parfois incapable de me souvenir d’heures entières… Qu’ai-je fait ? Où étais-je ?
Autrefois, je restais consciente, prisonnière de moi-même, mais quand même consciente. Ma mémoire ne s’abîmait que quand les souvenirs étaient trop douloureux, mais il en restait toujours assez pour que je reconstitue le puzzle. Mais Yumzigami joue son propre jeu à présent.
Je ne pense pas qu’on me reconnaîtra. J’ai tellement changé. La sagesse voudrait que je fuie les Nations, mais… je ne peux pas. C’est là que j’ai passé les meilleurs moments de ma vie.
De toute façon, Gami ne veut pas. Et c’est elle qui est là, quasiment chaque jour. Parfois je me souviens. Je la vois errer parmi les homins, dans l’ombre. Parfois, elle sort en pleine lumière, parle avec ma voix, mais ses mots sont pleins de pourpre et de malheur.
Elle ne prend pas de risque. Elle sait que si elle se fait trop remarquer, elle mettra nos vies en danger. La sienne, aussi. La Sève l’éloigne parfois pendant plusieurs jours.
Lors de l’Exil, je pouvais compter sur mes amies, leur parler de tout ça, leur demander de me surveiller… Mais elles ont déjà tant fait pour moi… je ne peux pas continuer de leur gâcher la vie. Je devrais mettre fin à la mienne. Mais chaque fois que je crois en trouver le courage, Yumzigami reprend le contrôle. Il n’est plus possible de la tromper…
Les rôles sont inversés en fait… Je ne suis plus que la démence de Yumzigami.
Parfois, par ses yeux, je reconnais un homin que j’ai connu autrefois. Je dois lutter alors pour ne pas crier, leur dire : « c’est moi, je suis là ! » À quoi bon ? Celle qu’ils ont connue n’existe plus. J’ai perdu la bataille. La seule chose qui me soulage, c’est que Gami ne tente pas de leur faire du mal. Elle sait que si elle les blesse, cela me donnera de la force… Elle a bien assez d’homins pour jouer !