Yokao aurait dû se sentir joyeuse. Ou, au moins, plus détendue. Mais non.
Ylang'Hao rendue à son tryker, les deux un peu moins foo, Yokao avait enfin le temps de prendre ces quelques jours de repos tant attendus. Bien sûr, il y avait encore à faire, mais l’urgence était passée et tout le monde pouvait se passer d’elle un moment. C’était l’instant tant attendu de relâcher la pression. Elle avait tenu durant ces longues journées en rêvant de ce moment où elle pourrait se permettre d’être elle-même, inconséquente et faisant la fête jusqu’aux lumières de l’aube. Oublier ce cauchemar, quelques nuits au moins…
Elle avait commencé par rejoindre l’un de ses lieux de débauche favoris. Mais là, dans l’eau chaude des bains, profitant du délassement et des massages d’Hilarius, elle s’était soudain rendu compte qu’il manquait un élément essentiel à cette fête qu’elle s’apprêtait à faire. Elle avait envie de partager tout cela avec quelqu’un, et pas n’importe qui.
Elle s’était rhabillée, rentrant à Zora, cherchant son Éveillée favorite. Pas de Nikuya. Elle avait fini par aller à son appartement, espérant que la belle l’y rejoindrait, mais elle avait fini la nuit seule. Elle avait repris ses recherches le lendemain, se demandant ce que son amie pouvait bien faire, et où… Elle avait fini par croiser l’une des zoraïes de la shizu de Nikuya, Miyuko. Elle n’avait encore jamais eu l’occasion de lui parler, et l’avait abordé poliment, lui demandant si elle avait des nouvelles de leur amie commune.
L’attitude de la zoraïe avait été éloquente. Encore une qui ne l’aimait pas… Mais si Yokao avait eu besoin de l’amour des gens, elle aurait fait autre chose de sa vie. Ce qui importait, c’était de trouver Nikuya, et Miyuko n’en savait pas plus qu’elle.
Cependant, Yokao avait été surprise de trouver autant d’animosité de la part d’une proche de l’Éveillée. Elle avait ouvert juste ce qu’il fallait pour que l’Initiée vide son sac. Yokao avait alors fait face à l’habituel flot de haine lié à sa confession, aux accusations sur le but de son travail… rien de neuf. Cela continuait de faire mal, mais rien de neuf. Ce qui était neuf, c’était de mêler Nikuya à cela. Cette arrogante Initiée pensait savoir mieux que l’Éveillée ce qu’elle devait faire. Yokao s’était attendue à ce que cela arrive, elles en avaient parlé avec Nikuya, décidé de prendre le risque quand même… mais elle ne s’était pas attendue à tant de virulence de la part d’une personne faisant partie de l’entourage de l’Éveillée elle-même. L’ambiance ne devait pas être drôle dans la shizu. Peut-être que Nikuya avait eu besoin de prendre des vacances aussi, du coup.
Après cette conversation assez pénible, elle avait cherché à tous les endroits qu’elle avait pu imaginer, même les temples kamis et les bars de toutes les nations, sans trouver plus son amie. Nikuya ne devait pas souhaiter être trouvée… Il fallait donc la laisser tranquille.
Yokao avait échoué chez Lydix. Retour à la case départ ou presque. Elle avait repris son programme du début, un peu déçue d’être seule mais bien décidée à ne pas se faire arrêter par ce genre de contrariété. Elle avait descendu des shookis avec les fyros, encouragé une bagarre de bar, chanté des chansons paillardes, avait fini par se retrouver en petite tenue pour lutter à mains nues contre une grande gueule de fyros, puis avait fini la soirée dans la réserve de Lydix avec le fyros en question, sans la petite tenue.
Elle n’avait pas attendu que la gueule de bois s’installe le lendemain : retour aux bains avec quelques champignons, papoter avec Aloisyus et Hilarius, se faire indiquer la meilleure fête en préparation, y arriver au soir en ayant pris un peu d’avance côté alcool, boire encore, danser, fumer, jouer, rouler sous les tables, dire des bêtises, faire des bêtises…
Se réveiller avec un goût de cendre dans la bouche, l’œil vitreux, des mektoubs en train de danser la cavalcade dans la tête, et se rendre compte que c’était pire en ouvrant les yeux. Les ronflements sonores des participants à la fête, l’odeur des drogues et du stupre, lui apparaissaient dans toute sa crudité. Elle ne se sentait pas mieux, tout au contraire : une morosité s’installait, essayant d’anesthésier la colère grondante qu’elle essayait de refouler au fond de ses entrailles.
Elle avait pris un pacte pour se sortir de là. En petite culotte au pied du téléporteur karavan, elle avait dégobillé ses excès de la veille. Que la déesse lui pardonne… Et l’officier aussi. Elle avait piqué une tête dans la Source des cutes, remède garanti contre la gueule de bois. Puis avait bricolé de quoi se couvrir un peu avec la végétation sur les bords du lac. Heureusement que tout le monde avait l’habitude de voir les zoraïes habillées n’importe comment… elle ne faisait quand même pas la fière de retour à Pyr, rasant les murs et essayant de retrouver les lieux de la fête, histoire de récupérer ses habits et autres affaires.
Une fois ces petites contrariétés résolues, elle retourna aux bains. Si tout pouvait être aussi simple et bon qu’une après-midi aux bains… Elle papota un peu de choses sans importances avec Hilarius et médita longuement.
Ça n’allait pas mieux. Elle n’avait même pas envie d’aller à Yrkanis ; dans cette humeur, Rosana et Lucilus la mettraient dehors. Ou peut-être la mettrait sous les couvertures et… mais non, elle n’avait pas envie qu’on la cocoone, elle avait envie de Nikuya. Elle voulait arriver à avoir son avis, tout en craignant la façon dont l’Éveillée réagirait.
Né, elle ne pouvait pas parler à Nikuya de ce qui s’était passé avec Ylang'hao… pas pour le moment. Ni de Miyuko. Plus elle y pensait, plus ce qu’elle pouvait faire avec Nikuya se résumait à un réconfort à peine supérieur à celui des homins de la veille. Et plus elle se convainquait de cela, plus sa colère face à l’injustice de ce monde montait.
Cela ne servait à rien de tremper indéfiniment dans ce bain. Elle retourna à sa chambre au-dessus de la Patte de Yubo, enfila son armure de combat et récupéra son épée. Un instant, elle hésita à demander à Xong de continuer ses leçons… mais, non, elle n’avait besoin de personne pour aller hacher quelques herbes.
Elle se téléporta à nouveau, bien décidée à se défouler dans l’entrainement, si le simple plaisir des sens ne suffisait plus à son bonheur.