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Dérives grégaires

Les repérer et s'en prémunir.

Réaliser des BD, images, pour illustrer.

Groupe type : trouver un truc anodin (genre tricot? Thé ?).

Problématique

Dans le contexte de ce texte, l'expression “dérive grégaires” concerne un phénomène de groupe pathologique. Le besoin d'identité, phénomène normal dans tout groupe humain, s'exacerbe jusqu'à devenir une nécessité de fusion, rejetant toute différence possible, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du groupe.

Le risque est de faire des choses néfastes pour nous mêmes ou pour autrui, en accord avec les idées d'un groupe ou d'une idéologie.

Ces dérives sont pathologiques, mais elles sont aussi une expression “normale” de réaction à certains stress. Abandonner son libre arbitre à la pression d'un groupe est une façon parmi d'autres de survivre dans certaines circonstances. Mais le prix peut être lourd à payer au niveau individuel.

Avec l'arrivée d'internet et la facilité à trouver des groupes de gens “comme nous”, le processus de dérive grégaire a pris de l'essor, amplifié par les “bulles de filtres” des médias sociaux qui nous proposent uniquement ce qui est “comme nous”. Le phénomène n'est pas nouveau pour autant, et peut se croiser dans tout groupe humain, quelque soit la raison qui le rassemble, pour peu que les membres du groupe en question aient peu de possibilité d'avoir des interactions sociales positives en dehors du dit groupe.

Phénomènes de harcèlement, repli sur soi, montée des extrêmismes, violences en tout genre sont les conséquences de ces dérives.

Éléments d'alertes

Tout peut se résumer par : “donner de la valeur uniquement à ce qui est similaire, juger négativement tout ce qui est différent”. Tout mouvement ayant un jugement moral (Bien/Mal) est à interroger.

Porter un jugement modéré sur le monde qui nous entoure est humain. Se sentir bien avec ceux et celles qui sont semblables à nous, et mal à l'aise avec ceux et celles qui sont trop différents, est humain aussi. Mais cela devient pathologique lorsque le dialogue se rompt, et que nous voyons le monde d'une façon binaire : “Nous, et les Autres”.

De façon plus concrète, certains mécanismes sont des révélateurs.

Deux éléments simples à repérer

Ces deux éléments sont symptomatiques du problème, et sont faciles à repérer y compris lorsqu'on est dans le groupe.

Adoration du Leader

Une personne du groupe, dans un rôle de leader, se retrouve adulée par les autres membres du groupe. Tout ce qu'elle dit devient parole d'évangile, il n'est pas supportable d'entendre la moindre critique à propos de cette personne.

Dans certains cas, il peut y avoir plus d'une personne dans le groupe ayant ce statut de “gourou”, mais c'est assez rare, on observe généralement une hiérarchie dans la valeur de la parole de chacun.

Les “leaders” apparaissent assez naturellement dans un groupe : des personnes qui organisent, donnent une direction. Ce n'est pas un mal en soi, c'est même nécessaire dans beaucoup de projets et de groupe pour que des choses intéressantes soient réalisées.

Responsabilité en tant que leader

En tant que leader (ou personne d'importance dans le groupe), nous avons une responsabilité importante : éviter que le groupe que nous guidons, et les individus qui le composent ne tombent dans des dérives, et éviter soi-même la pente savonneuse du rôle gourou. Il peut être valorisant d'être apprécié, par exemple, mais si cela tourne à une forme d'adoration de la personne, cela présente des risques. Si certains membres du groupe vous portent aux nues, rappelez-leur vos défauts, demandez la contradiction. Quelqu'un qui n'est pas capable de vous contredire est dangereux, pour lui et pour vous. Pour lui, parce qu'il risque d'accepter de votre part des choses qui ne lui font pas du bien (même s'il n'est pas dans votre intention de le blesser) ; pour vous, parce que si cette image de perfection vient à être brisée, le sentiment qui le remplacera sera une haine aussi concentrée que l'amour précédent. Il est donc important de vérifier que le leader d'un groupe accepte d'être contredit, et soit contredit par son groupe de temps en temps. Peut importe les raisons : nul n'est parfait, et on a le droit d'apprécier quelqu'un pour ses compétences techniques (par exemple) tout en reconnaissant qu'il ou elle s'est mal comporté dans telle situation.

Responsabilité en tant que membre d'un groupe

Nul n'est parfait, aucun humain n'est absolument divin. Si vous adorez quelqu'un, reconnaissez ses défauts, sa faillibilité. Vous pouvez l'aimer, mais vous ne devez pas lui abandonner votre libre arbitre. Même si ça semble confortable.

Il est possible que votre personnalité vous amène à aduler certaines personnes. Dans ce cas, demander de l'aide à votre entourage afin de contrer cette inclination. Une thérapie peut aider à transformer cette inclination, mais avec précaution : on trouve aussi des “gourous” dans les relations thérapeutiques (même validées officiellement).

Si vous voyez des membres de votre groupe aduler vos leaders, parlez-en avec tout le monde. La prise de conscience peut aider à désamorcer la situation. Attention cependant aux dynamiques en place ; une intervention mal placée risque de vous faire rejeter en mode “bouc émissaire”.

Bouc émissaire

Une personne, ou un groupe de personne, sont considérés par le groupe de façon négative. Ce jugement négatif est répété, et amène à des actions : quolibets, mise à l'écart, harcèlement, agressions verbales et/ou physique. À partir du moment où on est “contre” quelqu'un ou un groupe de personne, il faut s'interroger.

Lorsqu'un groupe dévalorise un autre groupe ou un individu, que ce soit en acte ou en mot, méfiance !

Un bouc émissaire est une façon simple de gérer la cohésion du groupe : tous unis contre X. Travailler cette haine devient une fin en soi, amenant à justifier des actions que nous jugerions immorales si elles nous étaient appliqués. “Mais eux, c'est pas pareil, c'est des gens qu'on aime pas, ce qui font/sont est insupportable.” Si, c'est pareil.

Cette haine peut s'appliquer à :

  • des éléments extérieurs au groupe, de façon très ponctuelle (ex : un type de comportement), systémique (ex : un groupe identifié d'après certaines caractéristiques)
  • des individus ayant fait partie du groupe, qui ont généralement remis en cause ce qui se passait au sein de ce dernier
  • le reste du monde de façon assez large ; on a alors dépassé la simple dérive grégaire pour tomber dans un phénomène sectaire, totalitaire. Ou pour le dire autrement : le groupe a une pathologie qu'on peut identifier à la paranoïa.

Éléments demandant une prise de conscience

Ces éléments peuvent paraître évident aux personnes extérieures au groupe ou à l'idéologie, mais les personnes prises “dedans” auront plus de mal à les voir, par la nature même du mécanisme.

L'individu a une loyauté absolue envers le groupe (ou c'est ce qu'on lui demande). Les mécanismes en action :

  • La Vérité et le Déni : ce qui est dit dans le groupe est Absolument Vrai. Il n'est pas possible de le remettre en question, ou même de l'interroger pour mieux le comprendre. Poser des questions, chercher des arguments, contredire est considéré comme “Mal”. Toutes les objections et les faits gênants sont niés.
  • La notion de Bien et de Mal est très présente. Ce qui se passe au sein du groupe est Bien, ce qui est en dehors est Mal, qu'il s'agisse des groupes “opposés”… ou même des gens qui n'ont pas pris parti.
  • Monomanie : tout est pensé en fonction du groupe, de ses actions, de son idéologie. Toute discussion avec autrui va arriver à un moment ou un autre sur un aspect du groupe (y compris les discussions à propos de “qu'est-ce qu'on mange” : “l'autre jour, X du groupe nous a amené une super salade…”).
    • Prosélytisme : conséquence directe de la monomanie, les individus du groupe cherchent à convertir autour d'eux en imposant leurs arguments, sans écouter leur interlocuteur. Ce prosélytisme se rencontre aussi bien pour des produits (convaincre d'acheter ceci ou cela), des idées (ce concept révolutionne le monde), des pratiques (faire ceci rends la vie meilleure)… Plus il y a de résistance face au discours prosélyte, plus l'individu se renforce dans ses croyances et se coupe du monde.
  • Coupure avec le reste du monde : on se sent si bien au sein du groupe que ce qui est extérieur nous semble insupportable. Les contacts avec autrui finissent par se limiter à des conflits. On se sent rejeté par “les autres” (et on les rejette aussi) mais profondément accepté par “le groupe”, jusqu'à un aspect fusionnel.
    • La conséquence de cette coupure est une énorme difficulté à remettre le groupe en question même si ce dernier commence à agir d'une façon qui nous pose problème. En sortir peut devenir extrêmement complexe.
    • Il est normal de se sentir bien dans un groupe qui nous ressemble, et qui nous accepte en tant qu'individu. Ce dont il faut se méfier, c'est l'extrême, lorsque ce bien-être nous amène à trouver la vie en dehors du groupe pénible voir invivable.
  • Renoncement à un certain libre-arbitre : nous laissons d'autres que nous décider de certains éléments de nos vies. La soumission volontaire peut avoir des aspects confortables et reposants, elle peut même être bénéfique dans certains cas (cadre du travail notamment), mais il faut pouvoir la remettre en question à tout moment et ne pas s'en servir comme excuse pour commettre des actes problématiques.

Tout les discours travaillant sur la Peur ou la Colère sont à questionner aussi. La peur de l'Autre, du futur, de certains évènements, d'éléments composant notre monde, amènent à considérer que seul le groupe est rassurant, et que seul ce dernier peut mettre en place de quoi se protéger de ce qui fait peur.

Enfin, il y a tout ce qui concerne les contraintes (financières, de disponibilité, de choix) : si on se sent “obligé” de faire ceci ou cela, il y a un malaise. L'injonction peut être personnelle plutôt que venant du groupe, mais elle est déjà problématique dans ce cas.

Ajouter probablement quelque chose autour de la notion de Pureté : il y a ceux qui sont les Justes, par “nature”, et les Autres (qui cumulent mauvaise nature et mauvaise vie). Cela rejoint la notion de Bien et de Mal, mais il y a quelque chose d'autre…

Conditions environnementales

Certaines conditions nous amènent à être plus fragiles, et donc plus apte à laisser arriver une dérive.

  • Urgence temporelle : il n'y a pas le temps pour réfléchir, se poser. Tout est dans l'urgence, ou la répétition.
  • Privations variées : l'absence de sommeil ou de nourriture nous amènent très rapidement à être plus influençable, à laisser s'exprimer aussi des éléments inconscients qui peuvent être problématiques. D'autres formes de privations (affection, sentiment de valorisation, inclusion dans une société, etc.) peuvent fragiliser et favoriser notre adhésion à des dérives, pour peu qu'un groupe comble ces besoins, même temporairement.
  • Drogues, y compris l'alcool : toute substance altérant la chimie du cerveau enlève des inhibitions. Une inhibition n'est pas forcément néfaste : la plupart nous permettent de vivre en société, dans le respect des autres et de soi. Sous l'emprise de ces substances, nous sommes plus susceptibles d'accepter… n'importe quoi.

Ces conditions se rencontrent régulièrement dans une vie et ne donnent pas forcément lieu à des dérives, surtout si elles sont rares. Il s'agit uniquement d'un terreau dans lequel certaines graines peuvent germer…

Que faire ?

Il y a une responsabilité collective à éviter ces dérives.

Dans les cas extrêmes, on peut parler de “dérives sectaires” ou de “radicalisation”. Cependant le discours politique actuel a tendance à déresponsabiliser les individus : il y aurait des grands méchants (gourous, extrêmistes) prêts à manipuler de pauvres victimes. Ces grands méchants n’opéreraient évidement que dans des domaines bien précis. Jamais dans votre club de tarot local.

La réalité est bien plus complexe. Des individus normaux peuvent se retrouver dans la position de gourou en toute bonne foi, convaincus de faire ce qui est bon ; des individus normaux peuvent se retrouver dans une foule à lyncher quelqu'un (en mot ou en acte).

Nous devons avant tout nous méfier de nous même. Les dynamiques de groupe nous transforment et il convient d'être vigilant : sur ses propres actes, sur les positions collectives, sur les rôles attribués aux leaders.

Voici une proposition de manifeste : quelques déclarations d'intention auquel nous pouvons adhérer en tant qu'individu et en tant que groupe afin de lutter contre ces dérives qui nous menacent.

Manifeste contre les dérives grégaires

  • Nous voulons des individus libres et autonomes, faisant leurs choix en conscience.
    • Nous voulons pouvoir être contredit, et entendre ces contradictions. Nous ne détenons aucune vérité, même lorsque nous avons des savoirs ponctuels.
    • Nous voulons pouvoir être en désaccord, poser des questions et interroger.
  • Nous voulons un monde diversifié, où trouver du “comme nous”, et du “autre”
    • Le “comme nous” permet de se sentir rassuré, dans un élément familier, afin de nous donner l'énergie d'explorer “l'autre”.
    • “L'autre” permet d'évoluer, de se transformer, c'est un facteur essentiel à la vitalité.
    • Nous voulons des échanges en dehors de nos bulles.
  • Nous voulons respecter chaque être humain, indépendament de ses croyances, de son origine, de son physique et de tout autre élément qui peut nous sembler étrange, voir effrayant. Nous voulons ce même respect pour nous.
    • Ce respect de soi et des autres va aussi avec le respect des limites de chacun et chacune : certains comportements ne peuvent être tolérés et doivent êtres stoppés, sans être confondus avec les individus qui les ont initiés.
    • Aucun individu n'est meilleur ou pire qu'un autre.
  • Nous voulons discuter d'autre chose que de notre passion du moment. Même si elle est vraiment géniale.
    • Nous n'avons pas besoin de convaincre que notre passion est géniale. Faisons ce qui est important pour nous : les personnes intéressées nous poseront elles-mêmes les questions.
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community/derive.txt · Dernière modification : 30/11/2020 10:36 de 127.0.0.1