Langages métiers, culturels et traductions

Rare sont les projets qui peuvent se permettre d'être ultra-spécialisés.

Une des erreurs les plus fréquentes dans le monde du libre consiste à penser “logiciel” libre et à croire que dans le mot “logiciel”, il n'y a que du code.

Un logiciel, qu'est-ce que c'est ? C'est un ensemble de choses…

  • du code
  • une fonction (répondre à un ou des besoins) donc, à un moment, des utilisateurs
  • une ergonomie (comment j'appelle mon truc en ligne de commande ; où je clique, et donc peut-être du graphisme)
  • de la communication en externe
  • de la documentation
  • de la traduction
  • etc.

Vous pouvez faire le meilleur code au monde, si vous ne pensez pas à vos utilisateurs, si vous ne communiquez pas, si vous n'expliquez pas… Votre code ne vaut rien, car il ne sert qu'à vous. Il est sous licence libre ? Ça ne suffit pas, car il n'est pas utilisable.

Et il en est ainsi de tous les projets. Toute production humaine n'a de la valeur que parce que d'autres peuvent en profiter, parce qu'il est possible de partager. Même si le nombre de personnes avec qui vous pouvez partager ça est limité, c'est toujours mieux que rien ; et plus il y a de personnes qui peuvent accéder à ce que vous faites, plus ce que vous faites a une valeur pour l'humanité.

Le problème est que bien souvent, nous sommes limités par notre milieu. Si vous codez, vous connaissez sans doute d'autres codeurs. Vous allez pouvoir leur montrer votre super code. Vous allez peut-être même avoir des retours sur ce code, qui vous permettront de le rendre encore meilleur. Et… et puis c'est tout.

Nous connaissons tous des logiciels libres qui sont supers sur certains aspects, mais franchement moches sur d'autres. Il y a même des killers features, “fonctionnalités de la mort”, qui ont été présente dans les logiciels libres avant d'être reprises par des grosses entreprises… qui en ont fait des révolutions1). Pourquoi ces grosses entreprises arrivent à faire fructifier ces inventions mieux que les inventeurs originels ? Parce qu'elles ont de l'argent ? Oui et non… C'est parce que leur argent leur permet de réunir des gens de milieux différents sur un même objectif.

Chaque profil a son langage

La première grosse difficulté, c'est que nous ne parlons pas la même langue.

Ça peut être culturel : pas facile de participer à un projet allemand si on ne parle que français… mais même quand on croit parler la même langue, ce n'est pas si simple. Car chaque métier a son langage, ses spécificités, qui sont très utiles pour définir précisément un problème propre à ce corps de métier mais qui n'ont aucune chance d'être comprises par le reste des mortels.

Chacun parle un langage différent. C'est normal : nous avons besoin d'un vocabulaire spécifique pour penser certains objets. Pour la plupart des développeurs, des termes comme “booléens”, “push”, “ticket”, “compiler” sont des mots simples qui représentent des choses concrètes et nécessaires au boulot. Mais ça ne veut rien dire au commun des mortels. Pour un graphiste, des mots comme “normal map”, “pbr”, “mode de fusion”, “fresnel” sont parfaitement claires et nécessaires pour parler de certains aspects de son travail ; mais pour la plupart des gens, c'est une langue étrangère.

C'est le premier gros défi de toute communauté réunie autour d'un projet un peu conséquent : arriver à communiquer entre tous ces gens. Comme il est difficile d'être spécialiste en “tout”, il est très important de trouver des “spécialiste en rien”, des gens qui sont capable de butiner partout et de faire le lien entre des milieux différents.

Mais le métier n'est qu'un des éléments du langage. Nous avons aussi des spécificités de langage lié à notre milieu social, à notre éducation, à notre identité et notre histoire. Le brassage culturel est nécessaire pour enrichir un projet, car sans ça, au lieu d'une communauté, on se retrouve vite dans un communautarisme étouffant…

Faire l'exercice mental de penser “comme l'autre”, ou du moins de transformer assez son point de vue pour comprendre un autre aspect, est quelque chose qui est forcément difficile, qui peut se révéler épuisant… et certaines personnes ne peuvent pas le faire. Ce qui n'empêche pas de les intégrer aussi dans une communauté, sous certaines conditions. Mais il faut absolument une ou des personnes qui peuvent faire le lien, traduire, bref : faire l'interface entre ces différents types de personnes et de métiers.

Faire l'interface : un rôle à part

La capacité à faire l'interface entre les différentes personnes est l'une des compétences clé d'une animatrice de communauté.

Ce type de personnalité est essentielle à un projet qui veut accueillir les contributions. Elle n'a pas besoin d'être cheffe, d'être la porteuse principale du projet, ni même de comprendre tous les détails. Suivant les univers, on donne différents noms à ce genre de personnage : community manager, gamedesigner, chef de projet… des termes qui recouvrent aussi, généralement, d'autres fonctions, ce qui amène de la confusion.

Le terme de coordinateur est assez bon. Un coordinateur est quelqu'un qui peut discuter avec tout le monde, et en comprendre assez pour traduire les besoins des uns aux autres, et les limites des autres aux premiers.

Le terme d'animateur est intéressant aussi, car il s'agit bien de lutter contre le confort de rester dans ses pantoufles, dans les ornières bien connues, et d'amener les gens à regarder au-delà de leur horizon familier… bref à leur impulser un souffle, à les “animer”

Enfin, il y a aussi un nom un peu moins sérieux et qui pourtant représente bien

1)
Les bureaux virtuels existaient depuis des années sur la plupart des interfaces graphiques de GNU/Linux avant que Windows et Apple s'en emparent à leur tour.
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community/translate_people.txt · Dernière modification : 30/11/2020 10:36 de 127.0.0.1