Elle s’était réveillée sous une couverture. Le camp était désert. L’avait-il abandonné ici ? Non, il y avait toujours la tente, les provisions… Après avoir vérifié qu’il n’était nulle part, elle avait ouvert des sacs, avait trouvé du pain et l’avait dévoré, puis elle avait camouflé son forfait comme elle avait pu. Un pain de plus ou de moins, il n’allait pas le voir et elle avait trop faim. Ensuite, elle avait cherché comment «se rendre utile». Nul doute qu’il se débarrasserait d’elle si elle était trop encombrante. N’importe quoi, mais faire quelque chose, afin d’avoir une chance de s’en sortir. Nettoyer l’endroit, replanter les cordes de la tente correctement, organiser les stocks de nourriture, faire un campement plus agréable. Agréable était un grand mot pour ce lieu infernal. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était déjà ça.
Il revint quelques heures plus tard, regardant le travail accompli avec un air narquois, puis hocha la tête.
-Finalement, je vais peut-être te garder.
Voyant qu’il bataillait pour enlever son armure, elle lui proposa son aide, qu’il accepta en la regardant d’un drôle d’air. Les pièces de protection étaient lourdes et terriblement rigides ; elle se demandait de quel artisanat il pouvait s’agir. Elle n’avait jamais rien vu de pareil. Elle essayait de se concentrer là-dessus pour ne pas penser au regard du guerrier sur elle.
Cela fut suffisant pour qu’il la laisse se nourrir ce soir-là. Mais une fois qu’elle eut fini sa part, il se jeta sur elle et la frappa violemment. Elle poussa un grand cri de détresse, tentant de lui échapper ; il l’immobilisa et se mit à la rouer de coups sans dire un mot. Dénakyo crut sa dernière heure arrivée : incapable de s’échapper, elle se roula en boule, tentant d’amortir la volée qu’elle recevait.
-Okojia ? Okojia ? gémissait-elle. Elle ne comprenait pas ce qui lui prenait à présent. Rien n’avait laissé présager cette violence. Sauf peut-être la façon dont il l’avait regardé manger.
-Okojia ? grogna-t-il entre deux coups. Parce que tu es une petite voleuse et une tricheuse. C’est mon camp, mes règles. Si tu veux quelque chose, il te faut mon accord. Si tu veux manger, tu attends que je t’en donne le droit.
-Je n’ai pas…
Il lui donna un coup encore plus violent qui lui coupa le souffle.
-Tu n’as pas ? Tu mourrais de faim hier, bien moins aujourd’hui. Ne me prends pas pour un idiot, gamine. Ne tente jamais de me doubler. Tu n’es pas assez forte pour y survivre.
Il lui balança un autre coup puis la laissa à terre, pliée et pleurant amèrement. Dénakyo resta ainsi de longues minutes, luttant contre la douleur et la terreur. Jusqu’à l’Essaim, sa vie avait été douce. Ses parents l’avaient aimé, la Théocratie était en paix, les Kamis lui avaient offert un beau masque… Elle ne pensait pas atteindre l’Éveil un jour, mais simplement mener une vie calme et paisible à l’ombre des jayazengs.
Et voilà qu’à présent chaque jour elle priait de toute son âme pour survivre. Juste survivre. Juste un jour de plus. Jusqu’à ce que les kamis reviennent et la sauvent, et qu’ils ramènent ses parents…
Elle l’entendit revenir vers elle. Elle blottit son masque dans ses mains dans une tentative futile pour se protéger. Mais il se contenta de l’attraper par le cou et de la relever. -Il reste de quoi t’occuper. La vaisselle, nourrir ce crétin de mektoub, brosser mon armure. Si tu veux vivre, rends-toi utile !