Bien qu'elle partagea les idéaux de paix de ses sœurs, Laofa n'avait cependant pas pour ambition de devenir un héraut de la paix. Ce qu'elle voulait, c'était découvrir les sables brûlants de Pyr et les eaux tièdes de Fairhaven, marcher sous les arbres de la majestueuse Yrkanis et enfin découvrir le Pays de ses ancêtres, la mythique Zora. Alors, à sa majorité, elle décida de découvrir Atys et ses merveilles. Et pour commencer, de passer à Fairhaven.
Peut-être parce que son ami Bredi était de là-bas, peut-être pour satisfaire son côté tryker…
Elle avait des amis qui étaient arrivés sur le continent avant elle et qui lui avaient parlé du contraste avec la tranquillité relative de Silan. Mais elle ne s'attendait pas à tout ça…
Elle ne se lassait pas de contempler les lagons et les comportements des nouvelles espèces qu'elle découvrait ici. Elle regardait, intimidée, les nombreux échanges sur la place du marché, osant à peine échanger ses matières contre quelques dappers aux commerçants les moins hauts en couleurs. Elle découvrit aussi les luttes qui animaient l'Ecorce. Bien sûr, elle avait retenu les quelques leçons reçues à l'école, l'invasion des kitins, les guerres des nations, la lutte entre les kamis et les karavans… Mais ce n'était plus des histoires barbantes racontées par un vieux prof soporifique, c'était la réalité de tous les jours ici.
L'une de ses premières rencontre, une jeune Trykette nommée Illicite, lui expliqua en guise de préambule : “Tu verras, tout le monde va essayer de te recruter.” Elle avait aimé la franchise de la jeune fille et s'était liée d'amitié avec elle et sa sœur Elanira. Un jour, son amie Verica arriva complètement affolée dans la chambre qu'elles partageaient avec Bredi :
“Un gars vient de m'offrir 100 000 dappers ! Comme ça ! Et après il a dit que sa guilde aimait bien aider les jeunes qui débutaient !
-Et tu as pris l'argent ? demanda Bredi.
-Et bien, je me suis dit qu'on trouverait à les employer… Mais je ne les connais pas, ces gens ? Et puis Kami, Karavan, c'est kipee-kipee !”
Laofa rit. Son amie avait une méfiance instinctive qui virait parfois à la paranoïa pour tous les groupes officiels. Mais elle était aussi troublée par la générosité pas complètement dénuée d'intérêt de certaines guildes. La guerre avait besoin de sève fraîche.
Elle entendait aussi d'effroyables histoires sur les Maraudeurs. Cependant, elle se demandait aussi si certains personnages étranges qu'elle avait croisés en ville n'étaient pas, justement, de ces grands méchants… Peut-être, peut-être pas ? Si c'était le cas, ils semblaient parfaitement homins. Mais Laofa était trop timide pour aborder les gens comme ça.
Un jour, Verica revint en arborant sur sa veste un petit sigle.
“Qu'est-ce que c'est ?” demanda Laofa, intriguée.
“L'emblème de ma Guilde,” répondit fièrement Verica.
“Ho… Et… C'est quoi, comme guilde ?” Laofa était un peu vexée. Elle pensait que les trois amis rejoindraient la même guilde : depuis quelques temps, elle menait des recherches sur les diverses guildes afin qu'ils puissent choisir ensemble avec des arguments objectifs. Plus objectifs qu'un sac de dappers. Cependant, elle ne reconnaissait pas le dessin de celle de Verica.
Cette dernière, se retenant de rire, déclara :
“C'est la Guilde des Indécis !” Et devant l'air interloqué de la Zoraï, elle expliqua :
“C'est Cyvos qui a eu l'idée. Tu te souviens, le grand Zoraï devant qui tu bégaies ? Bon, il était comme nous, envie de découvrir tranquillement le monde sans se faire recruter tous les 100 mètres. Du coup, il a utilisé les pots-de-vin pour faire enregistrer une nouvelle guilde. Et voilà !”
Cyvos était une de ces figures mythiques qui avaient marqué l'apprentissage de Laofa sur Silan. Un peu plus âgé, il avait rapidement rejoint les Rangers de Silan et aidait les jeunes (et moins jeunes) à affronter les dangers de l'île. Puis il était descendu sur le continent. Or, si Verica et d'autres de ses amis avaient souvent parcouru les collines en la compagnie du Ranger émérite, Laofa pendant ce temps restait à la maison pour rattraper le retard qu'elle avait pris à force de regarder le ciel. Quand ses amis revenaient et lui racontaient les exploits qu'ils avaient accomplis avec l'aide du grand Zoraï, elle battait des mains ; mais pour elle, Cyvos restait une sorte de héros lointain. Le fait qu'il ne soit pas si lointain que ça, et même d'un abord assez facile, était perturbant. Ce qui était encore plus perturbant, bien sûr, c'est que Laofa ne connaissait pas beaucoup de Zoraïs mâles. Ahem. Bref, Cyvos était Cyvos : tout le monde en disait du bien, elle-même avait à maintes reprises apprécié son aide et cette guilde paraissait une bonne blague. Dans la plus pure tradition tryker, en fait ! C'est ainsi que le lendemain, elle accompagna Verica pour se faire enregistrer à l'hôtel des Guildes.
“Voilà, pensa-t-elle, qui résoudra un moment cette histoire d'appartenance à un groupe.”
Car après quelques semaines à observer le monde, Laofa commençait à trouver sa voie. Elle appréciait bien les Kamis et leurs bruits rigolos ; elle était fascinée par les masques Karavan et leurs étranges machines clignotantes. Les deux avaient des buts louables, selon elle.
Les deux avaient aussi quelques zones d'ombres et il semblait parfois à Laofa que les homins ne se souciaient pas de les éclaircir : les fanatiques biaisaient (les fanatiques le font toujours), les modérés ne se posaient pas la question. Bref, Laofa se disait qu'elle n'avait aucune raison de détester un des deux groupes, et aucune raison non plus de les aduler. Ses parents adoptifs étaient assez traditionalistes sur certaines questions : si eux-même adoraient Jena, comme beaucoup de Trykers, ils pensaient que les Zoraïs devaient croire en Ma-duk et avaient donc veillé à ce qu'elle apprenne les croyances zoraïes. Et donc, Laofa adressait ses quelques prières indifféremment aux deux entités. Quant à croire qu'elles étaient antithétiques, cela aurait été pour elle sombrer dans la facilité.
Pour les histoires de nations, elle ne connaissait finalement que la région des lacs. Elle ne prendrait pas parti avant d'avoir arpenté chaque pouce de terrain d'Atys. Du moins les régions civilisées.
Même les Maraudeurs, tiens. Les histoires les dépeignaient comme des mangeurs d'homins, mais ce qu'ils étaient en réalité, Laofa savait qu'il lui faudrait le découvrir par elle-même. Leur guerre contre les Nations ne l'attirait pas à première vue, mais il ne faut pas juger la peau du varinx avant de l'avoir occis.
Et dans la relativité existentielle dans laquelle elle entrait (ce qui lui permettait de mieux vivre aussi sa légère schizophrénie raciale), elle se mettait aussi à se poser des questions sur des sujets qui ne divisaient pas les homins. Sur les kitins, en premier lieu.
Laofa était fascinée par un tas de chose et les kitins en faisaient partie. Elle aimait s'asseoir au milieu des kippees et des kizoars et regarder la manière dont ils se comportaient. Elle était étonnée par leur caractère pacifique. C'était ça, la grande menace qui avait fait fuir les homins ? Il y avait de ces kitins pacifiques partout et cela ne gênait personne. Bien sûr, d'autres kitins étaient plus agressifs et dangereusement mortels ; mais les ragus et les torbaks étaient aussi agressifs et on ne parlait pas de les éliminer de la surface de l'Écorce. Elle avait hâte d'explorer les Primes Racines et d'en découvrir plus sur eux.
Laofa regrettait ses années à louper l'école. Elle aurait aimé à présent avoir accès à un endroit où elle pouvait poser toutes les questions, un endroit où d'autres comme elle pourraient chercher des réponses sans préjugés, confronter les théories avec une rigueur scientifique et un aimable respect. Elle avait entendu parler d'académies, mais où ? Elle espérait trouver un endroit où le savoir était accessible à tous. Ils étaient malins, les Sages des villes avec leurs phrases “le savoir ne doit pas tomber entre de mauvaises mains”… Mais elle ne voulait pas fabriquer des armes (ça, du reste, on trouvait ce savoir chez le premier homin du coin), elle voulait connaître l'histoire, la science, l'astronomie, la biologie, la théologie…