Laofa commençait à se sentir vraiment paranoïaque. Le souci, c'est qu'elle ne pensait pas avoir tort.
D'abord, les Maraudeurs. Depuis son entretien avec Alric, elle savait qu'ils l'avaient à l'œil. Elle avait pris quelques précautions, mais était prête à affronter ce qui arriverait. Du moins le croyait-elle au début.
Il y avait eu ensuite les histoires avec Astnaht. Se savoir surveillée et jugée par les kamistes, qu'elle avait jusqu'à présent vu d'un œil amical, n'était pas agréable. Elle ne pensait pas cependant qu'ils se montreraient aussi désagréables que les Maraudeurs. Elle l'espérait très fort…
Puis les Trytonnistes. Les histoires sur Elias Tryton faisaient partie des légendes urbaines qui parcouraient Atys sans qu'on sache ce qui était vrai ou faux. Elle avait cherché à en apprendre plus sur eux et avait commencé à trouver des pistes. Elle était quasiment sûre d'en avoir identifiés certains.
Mais elle avait fait une grosse bêtise en étant honnête avec eux. Alors qu'ils tentaient de la convertir à leurs idéaux, elle avait été franche et avait exprimé son scepticisme. Et les menaces et mises en garde avaient commencé à venir, là aussi.
“Tu devrais faire attention à toi” lui disaient certains, et la menace contenue dans ses paroles faisait frémir la Zoraie.
Mais d'une certaine façon, le coup de grâce lui était venue de Kaewa. La Trykette, grâce à ses multiples amants, avait accès à de nombreuses factions. Au fil de leurs conversations, Laofa avait soudain pris conscience que ses questions indiscrètes faisaient des vagues et que cela n'impliquait pas qu'elle.
Or, ce n'était que le début. Laofa avait une bonne idée de là où elle devait orienter ses recherches pour trouver les réponses les plus vitales pour elle et à un moment ou un autre, on la verrait sans doute comme traîtresse. Elle ne pouvait pas prendre le risque d'entraîner ses amis dans sa chute. Par la faute de ses bêtises, son chemin l'amenait dans les recoins sombres de l'Écorce… mais il ne fallait pas que ses amis en souffrent.
Alors elle avait rendu son blason de guilde. Elle avait organisé une fête sur la plage de Fairhaven en invitant tous ses amis et avait tenté de rendre le geste festif.
-Je ne suis plus Indécise, j'ai trouvé ma voie !
-Mais quelle guilde as-tu décidé de rejoindre ? lui demandèrent ses amis ce soir-là.
Les propositions fusaient. Hoodo, Wa Kwai, les Larmes d'Atys, ou même la Fédération du Commerce ?
Laofa secoua la tête.
-Aucune. Une guilde qui s'appellerait “Hominité”, ce serait un peu prétentieux, né ? Je sers l'Hominité. Toute l'Hominité.
Les implications de ses dire ne plaisaient pas à tout le monde. Elle-même se sentait un peu terrifiée, et pourtant, elle savait que c'était vrai, aussi. Elle rêvait d'une hominité unie, en paix, combattant les menaces ensemble, sans dissension.
A compter de ce jour, elle ne porta plus qu'un seule titre : “Homine”. C'était le plus glorieux qu'elle pouvait arborer.
Nombreux étaient ceux qui pensaient qu'elle ne tarderait pas à rejoindre une guilde ou l'autre. Certaines lui firent des offres. Elle refusait, un peu triste à chaque fois. La chaleur de se retrouver dans une famille lui manquait, les conversations sans gravité et de se savoir entourée, soutenue.
Quitter les Indécis correspondait effectivement à ses convictions, car elle croyait fermement en son rêve et s'était impliquée de plus en plus en politique dans la plupart des Nations. Mais comment leur dire qu'elle mettait de la distance pour éviter aussi de les impliquer, eux, dans les combats qu'elle menait ? Pour éviter qu'on se serve de ceux qu'elle aimait pour faire pression sur elle ?
Peu à peu elle fit son deuil de ne plus avoir de guilde. Certains jours, c'était dur… puis elle se fit à ce silence.
Nul ne menaça jamais de s'en prendre à ses amis, comme si ne plus être en guilde l'avait rendu aussi seule qu'elle le paraissait. Des portes s'ouvrirent, qui étaient jusque là restées fermées. Dans les mois qui suivirent, plusieurs fois elle se félicita de son choix, tandis qu'elle découvrait toujours plus la société maraudeuse.
La guilde des Indécis resta cependant jusqu'à la fin la seule guilde de cœur de Laofa, même des années après qu'elle ait rendu son blason.