Les loups
“Les gens qui osent ont peur du loup mais veulent connaître les bois”
Mélanie Leblanc, Les gens qui osent, éditions les Venterniers
Ou bien…
Les gens qui osent ont peur du loup mais veulent en voir sa fourrure. Ce n'est pas seulement les bois que nous voulons connaître ; un bois sans loup n'a pas le même attrait. Nous allons dans les bois, dans l'espoir d'y croiser le loup.
Peut-être pour l'apprivoiser, peut-être pour être mangé. Peut-être seulement pour le “peut-être” d'une rencontre, d'un regard échangé. Pour l'ombre furtive entrevue, pour le frisson qui s'empare de nous à sentir cette présence, une présence qui, peut-être, n'existe pas.
Les gens qui osent savent parfois ce qu'ils ont à perdre. Un peu, beaucoup, tout. Je me suis souvent demandé : pourquoi ? Pourquoi risquer autant ? Pourquoi tout perdre, quand on a si peu ? Pour ce qu'on espère gagner ? Pari fou, absurde. Aucune chance. Je sais que le loup dans les bois ne m'attends pas. Et je sais que si je le trouve, je risque gros.
J'ai couru après les loups dans les bois. Ils m'ont mordu, saigné à blanc, déchiré le cœur et le sein. J'ai rampé, tremblante, m'accrochant à la vie, sans savoir si j'avais encore quoi que ce soit à sauver. J'ai réappris à respirer, avec ces blessures à jamais ancrés dans ma peau, dans ma chair, dans mes os. Je suis à l'orée du bois, et quand je tourne le regard vers lui, je *sais* de quoi j'ai peur.
Et pourtant…
Pourtant…
J'irais encore parcourir les bois. Je frémirai en entendant les loups, mais ce frisson là sera encore, toujours, si savoureux. Je serais plus prudente, peut-être, ou pas. On ne peux mourir qu'une fois. Mais je connais aussi le goût de la non-vie, ces moments terrés dans le lit, au fond de la chaumière, derrière des portes closes, à craindre des loups qui ne soufflent ni la pierre, ni la paille. Une non-vie infinie à écouter le temps s'égrener sans respirer.
Les gens qui osent sont ceux qui veulent vivre. Qui savent vivre. Courir dans les bois, sentir le vent contre soi, les feuilles sous ses pas. Chasser, être chassée. Les odeurs, les senteurs qui étourdissent, éblouissent. La goutte de rosée qui tombe en scintillant d'une toile d'araignée. Hurler à la lune, grogner dans les fourrés. Instants de pure animalité. Vivre, c'est être là, tout risquer, tout risquer.
Pour…
Seulement cela.
Oser vivre.
