Exil
Ce texte date un peu1). C'est un vulgaire réemploi en fait… Mais le but de l'exercice est aussi de sortir des textes des archives !
Cela fait à présent 22 ans que je suis exilée. Au début, quand la sentence est prononcée, on se dit qu’on est plutôt chanceux. Mieux vaut être exilé que mort. Et puis c’est l’occasion de découvrir de nouveaux paysages, de faire des rencontres, de découvrir une autre manière de vivre. C’est parfait pour tout recommencer à zéro. Évidemment, ça n’aurait pas été désagréable de rester chez soi, avec ce qu’on a construit, mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Il faut rester positif.
Les premières années sont les plus dures. Le souvenir de la contrée où l’on ne peut revenir nous obsède, voilant la lumière du soleil, creusant une profonde blessure au cœur. On pleure, on crie, mais personne ne comprend. Pour eux, c’est ici chez eux. Ils ne comprennent pas ce que c’est de se sentir déraciné, d’avoir perdu le contact avec tout ce qui faisait notre vie, avant. Ils se disent qu’ici, c’est l’endroit le plus chouette au monde, ou si ce n’est pas le plus chouette et bien ma foi… il y a des endroits pires, on arrive à être bien quand même, non ? Et que peuvent-ils imaginer d’autre, eux qui ne connaissent que ça ? Mais nous, on se souvient que le blé était plus blond et plus haut chez nous. Le soleil brillait plus fort. Le vent était chargé de plus de senteurs. L’air était plus pur, les forêts plus fournies. On se souvient que c’était différent. Pas forcément toujours mieux ou pire, mais c’était chez nous.
Puis le temps passe. Le souvenir de l’autre contrée disparaît peu à peu. On essaye d’oublier cette petite souffrance. On dit qu’ici, c’est chez nous, et puis après tout, tant qu’on vit ! On oublie enfin le nom de ceux qu’on a aimé et qu’on ne reverra plus jamais, leur visage, leur odeur. On oublie ces chemins familiers qu’on parcourait sans cesse dans notre enfance. On oublie tout ce qu’on peut. On finit par oublier pourquoi on a été exilé, puis on finit par oublier qu’on est exilée. Et on essaie de croire que cette vie-là est la nôtre.
Il ne reste que les rêves qui reviennent nous hanter, dans ces heures de la nuit où le temps semble se figer. Des impressions de déjà-vu, face à un paysage, une situation, quelque chose qui nous rappelle… autre chose, ailleurs. Une pointe de mélancolie qui survient soudain, sans qu’on sache d’où elle vient, ce qu’elle veut nous raconter.