Maraudeur égaré
Tandis qu’il reprenait des forces sur Silan, Fakuang fit une rencontre intéressante. Il massacrait tranquillement des mektoubs, quand il trébucha sur le corps d’un homin. Jurant toutes les insultes qu’il connaissait, il se remit debout, acheva un mektoub qui croyait avoir une chance de se débarrasser de lui, et revint vers le cadavre pour voir s’il avait quelques possessions intéressantes.
Mais ce n’était pas un cadavre. L’homin était mal en point, mais encore vivant. Il avait visiblement échappé de peu aux torbaks qui rôdaient dans la région, comme en témoignaient trois dépouilles proches. Il regardait Fakuang revenir, serrant les dents pour retenir le souffle de vie qui lui restait.
Fakuang s’accroupit et le dévisagea. L’achever, attendre qu’il finisse son agonie ? Mais l’homin avait une façon de supporter la douleur, une flamme dans le regard, qui lui plaisait. Et puis, si on apprenait qu’il n’avait pas aidé un homin agonisant, les Rangers allaient lui faire la morale. Il enfila ses amplificateurs et le soigna.
-Merci, dit l’homin en se relevant. J’ai bien cru que j’allais faire une visite express au kami du lac.
Fakuang grogna, retenant de justesse une insulte contre le kami. Mais l’homin avait visiblement compris.
-Ha, toi aussi, ces bestioles t’énervent ? Elles sont là, à glousser, à s’agiter… Insupportable.
L’Antekami plissa son masque dans un premier vrai sourire depuis qu’il était là :
-Exactement ! De sales créatures insuportables. Mais ce n’est pas un discours courant, ici. Tu es Karavanier ?
-Karavanier ? Non ! Les vaisseaux de la Karavan ne m’inspirent pas plus confiance que les bêtes à poils.
Enfin quelqu’un avec qui échanger… Cela faisait des semaines que Fakuang supportait la mièvrerie et la bonté dégoulinante de Silan et cette rencontre était une bouffée d’air frais. Il se sentait encore faible et savait qu’il ne survivrait pas en Jungle ; au moins ici, il était tranquille pour reprendre des forces. Mais il commençait à devenir fou, dans cette ambiance.
L’homin et Fakuang passèrent l’après-midi à courser les mektoubs, dans une ambiance de vrais guerriers (ou d’équarrisseur, suivant comment on voulait voir ça).
L’autre finit par déclarer :
-Pourquoi restes-tu ici ? Il n’y a rien pour toi sur cette île.
-Certes. Mais je n’ai nulle part où aller pour le moment. Mieux vaut que je continue de prendre des forces ici.
Fakuang n’allait pas lui dire que s’il retournait auprès de sa tribu maintenant, l’accueil ne serait pas très chaleureux. Il ne leur servait à rien dans cet état. Il savait quel sort on réservait aux Antekamis trop faibles et n’avait qu’une envie médiocre de servir de défouloir sans pouvoir se venger de temps en temps. Quant à rester à Zora, c’était hors de question, il finirait dans une geôle.
L’homin avait un sourire en coin :
-Et bien, si tu veux, je peux te donner l’adresse d’amis sur le continent… Je suis sur Silan pour aider les gens dans ton genre, qui savent voir au-delà des histoires servies par les factions.
-T’es sympa, mais je ne vois pas l’intérêt.
-As-tu déjà entendu parler des maraudeurs ?
-Ah… c’est donc ça. Très peu pour moi. C’est comme pour le reste. Tant que je suis aussi faible, vous allez juste vous servir de moi pour récurer les fosses. Sans façon, je suis mieux seul.
Mais à force d’arguments, Fakuang se laissa doucement convaincre. C’était l’occasion de quitter Silan. S’il restait encore une semaine, il allait finir par voir repousser ses cornes et vouloir faire des bisous aux réfugiés. Il était temps de partir.
Muni des indications de son contact, il retrouva dans la jungle Ankil, chef du Clan des Marchands de Mort, clan renommé après quelques déboires en “Clan des Maîtres Obscurs”.
Maraudeur, Karavan, peu importait avec qui Fakuang signait, du moment qu’on lui donnait une chance de semer la destruction.