Une forme d'amour
Dénakyo sortit de la tente tétanisée.
— Va retrouver ton amoureux, avait ricané Fakuang.
Elle n’avait aucune envie de voir Krokwai après ce que Fakuang venait de lui faire. Elle se rendit à l’Escarpement Moussu, se plongea sous la cascade et resta de longues minutes sous le jet glacé. Cela réveillait les blessures et la pression était assez forte pour faire un lourd poids sur ses épaules. Ça ne l’empêchait pas de frotter sa peau avec énergie, nettoyant le sang et aspirant à retrouver un peu de pureté. La cascade emportait les larmes de son masque.
Elle frotta avec une égale énergie sa nouvelle tenue. Elle l’avait trouvé pour Krokwai, parce qu’il avait beau être bête, il n’était pas si méchant, parce qu’il avait même presque été gentil avec elle. Ses envies libidineuses incessantes la dégoûtait mais… ça ne durait pas des heures et ça n’était pas comme avec l’autre… Krokwai inventait des trucs bizarres et tordus mais jamais rien d’aussi avilissant et douloureux que Fakuang. Des trucs risibles, oui, mais jamais aussi…
Elle ne pensait pas que Fakuang rentrerait si tôt de ses affaires avec les Maraudeurs. Elle avait compté que ça lui prendrait au moins quelques jours de plus. Durant son absence, plus d’une fois elle avait regretté qu’il ne soit pas là, parce que Krokwai se prenait vraiment pour le chef et qu’il était encore plus baveux et collant que d’habitude… Mais il n’était pas dur de lui faire oublier un temps ce qu’il avait en tête. Plus d’une fois, elle lui avait ramené assez de Bamboo-ka pour qu’il s’écroule ivre mort avant de la prendre. Il avait renoncé à lui mettre un paquet de coups aussi en échange de la promesse de bien se tenir. Et malgré ses exhortations, elle ne comptait pas devenir une meilleure amante : vivement qu’il se trouve quelqu’un d’autre ! Mais Krokwai était une amélioration. Fakuang la confiait à lui, jugeant probablement que c’était pire que tout ce qu’il pouvait imaginer ; le petit Antekami était capable de rendre le grand fou en un temps record, et Fakuang imaginait que cette exaspération concernait tout le monde. Mais Dénakyo n’en avait rien à faire. Ils étaient tous fous. La folie de Krokwai était canalisable, prévisible même et donc plus supportable. Trouver une jolie tenue pour répondre à ses « envies de chef » avait été une méthode parmi d’autres pour l’occuper. Sauf qu’elle n’avait jamais prévu que Fakuang la trouve en train de faire la séductrice.
Elle frissonna, tentant de chasser les images de sa tête. Elle sortit de l’eau, se sécha rapidement, enfilant sa vieille tunique et regardant ses nouveaux habits d’un air déprimé. L’étoffe soyeuse avait souffert et elle n’était pas sûre d’arriver à les réparer correctement. Elle sortit son nécessaire de couture et se mit à l’ouvrage. Au bout de quelques passes avec son aiguille, ses tremblements étaient trop forts pour lui permettre de continuer. Elle posa le tout et pleura longuement, recroquevillée dans la mousse.